Afi Affoya

Nous, gens de la rue …

Connaissez vous au moins une ville africaine ? Si la réponse est oui, c’est que vous avez déjà été témoin du foisonnement humain dans les rues. Foisonnement dû à la pratique pour le moins atypique d’une multitude de corps de métiers comme la restauration, la cordonnerie, la vente…

Tour de piste :

Les petits mets de la rue…

Dans une rue africaine digne de ce nom, vous rencontrerez forcément une dame au visage aussi rond et huilé que tout le reste du corps, aux yeux vifs et souvent cernés par la fatigue, aux lèvres naturellement pulpeuses (eh oui c’est Dieu qui donne ! 😋), aux bras souvent débordants de sa camisole à manches courtes achetée il y a déjà quelques mois au grand marché des friperies. Elle est drapée de la taille aux mollets d’un pagne aux motifs savamment entremêlés et teintés de couleurs chatoyantes.
Oui, vous l’avez sûrement vue. Cette dame, réglée comme une horloge à force de se réveiller à l’aube depuis tant d’années pour procurer à sa famille le pain quotidien. En faisant quoi ? En mijotant des plats qui seront le petit déjeuner de nombreux passants, d’une ribambelle d’élèves mais aussi d’apprentis, d’artisans et même de bon nombre de fonctionnaires.
Nul n’échappe à sa casserole ! Elle, c’est la fameuse restauratrice du quartier.
Un peu de riz, des pâtes, des haricots, un soupçon de bananes plantains, du fromages et des poissons frits, des oeufs durs, de la sauce tomate souvent très pimentée et pour couronner le tout, quelques sachets d’eau fraîche, ou de jus de bissap pour certains ou encore de jus de citron pour d’autres. Cette dame est donc celle qui « ambiance » la rue dès le matin, bien sûr avec quelques autres, femmes ou hommes restaurateurs qui attirent autour d’eux une foule avide de saveurs.

Crédit photo: Anne RuthmannCrédit photo: Anne Ruthmann

Le cordonnier, cireur et réparateur de chaussures…

Si vous n’avez pas eu la chance d’apercevoir notre fameuse dame ronde du matin, peut-être parce que vous êtes un lève-tard comme moi 😉, vous avez forcément dû faire la connaissance au coin d’une ruelle de ce bonhomme, quelque peu maigrichon, à la tête couverte d’un chapeau datant visiblement d’une époque très lointaine et toujours armé d’une boîte et d’un bâtonnet en bois. Cet homme est tout sauf coquet mais « qu’est ce que ça fait? » puisque, de toutes façons, ses vêtements -déjà loin de respirer la propreté- seront encore plus tâchés d’ici la fin de sa longue journée de travail par d’épaisses couches de cirage, pièce principale de sa fameuse boîte à outils. Il est simple et chaleureux, mais aussi parfois grincheux. Qui ne le serait pas à sa place ?
Lui, c’est le cireur de chaussures.
Vous le retrouverez dans presque toutes les ruelles de la ville.
Même lorsque vous serez entrain de vous prélasser dans votre chambre, vous ne risquerez pas de louper son passage, car nul n’est à l’abri des bruits stridents que produit le contact entre sa fameuse caisse et le bâtonnet lui servant de sonnette. Ce bruit, devenu tellement familier aux gens du quartier, qu’ils ne remarquent plus la cadence mélodieuse qui en ressort.

Non non non, vous n’allez pas me dire que vous l’avez loupé lui aussi 😨…

En même temps, c’est n’est pas improbable, puisqu’il y a de ces jours où le soleil frappe tellement fort que même le cireur de chaussures, pourtant habitué à braver les rayons aveuglants de la star de la journée, se trouve contraint de s’abriter sous le hangar « restaurant » que la dame ronde du matin a déserté après avoir terminé son service du jour.

Crédit photo: Biola AdigunCrédit photo: Biola Adigun

 

Les messieurs aux chariots…

Il y a aussi cette bande d’hommes, les uns plus âgés que les autres, souvent vêtus d’un ensemble qui met en évidence leur appartenance religieuse (boubous et têtes enturbannées plus précisément). Ces messieurs sont pour la plupart originaires du Sahel et sont nommés zamarama ou médjira selon les lieux. On retrouve dans plusieurs villes d’Afrique des spécimens les représentant. 
Telle une colonie, ils se déplacent toujours en binôme ou en trinôme malgré la similitude de leurs marchandises, composées la plupart du temps de petits objets divers, allant de la multiprise électrique à la corde à sauter. En plus de cela, ils ont le monopole du commerce de dattes.
Apparemment, au sein de leur communauté, la solidarité prédomine sur la crainte de la concurrence. La bande de vendeurs à la sauvette fait donc elle aussi partie du vaste paysage de la rue africaine.

Crédit photo: Happuc PhotographyCrédit photo: Happuc Photography

Ainsi donc cette palette d’individus et bien d’autres encore (la liste est loin d’être exhaustive) composent la rue africaine. Leur mode de vie, leur profession, leur courage et leur sens de la débrouillardise, font des rues africaines un espace constamment vivant, vivace, mouvementé, animé et parfois scénique (c’est bon, j’arrête avec les synonymes 😂).

Ambiance : anime.


Et si nous nous « décaméléonisions » ?

Il fut un temps où Je me sentais honteuse lorsque je me retrouvais dans un groupe et qu’une discussion virait sur un sujet « branché », donc très souvent à tendance occidental ou du moins étranger et dont je n’avais pas connaissance.

Il pouvait par exemple s’agir d’un nouveau gadget chinois à la mode, d’un plat libanais, d’un fromage français ou encore d’un tube étasunien.
Mais franchement, à l’heure où nous sommes, «I really don’t care»*

De vraies raisons d’avoir honte…

Je ne crois pas avoir de raison de me sentir en marge de la société juste parce que je ne maîtrise pas les différentes gammes de fromages français ou parce que je ne connais pas par coeur les titres du nouvel album d’une quelconque célébrité américaine.
Ce qui serait par contre susceptible de me faire honte ou du moins me faire me sentir mal en ce moment, c’est de ne pas pouvoir parler couramment ma langue maternelle, ou d’éprouver une certaine gêne à dire que je m’appelle Afi*, ou encore de ne savoir cuisiner aucun plat de chez moi. Oui, là j’aurai vraiment une bonne raison d’avoir honte.

Parce que voyez vous, j’ai remarqué que seuls nous africains avons l’habitude de nous glorifier de nous être appropriés des cultures d’autrui.
Je rappelle en passant que le fait de s’intégrer (qui veut dire entrer dans un tout, en faire partie, s’y incorporer) est différent du fait de se caméléoniser (se comporter comme un caméléon, par mimétisme, c’est à dire par imitation).

Je n’ai jamais compris et encore moins conçu le fait que des parents interdisent formellement à leurs enfants de s’exprimer en langue maternelle à la maison. Déjà qu’à l’école on nous mettait d’énormes colliers répugnants en coquille d’escargot (appelés « signal ») au cou lorsque l’on avait la malchance d’être surpris entrain de parler le « vernaculaire ».

Nous semblons être les seuls à être à même de mieux absorber les habitudes culturelles d’autrui. Cela est peut-être dû à notre passé colonial, mais sachant que cette situation va à l’encontre de nos intérêts, il faudra nécessairement que nous fassions des efforts pour y remédier.

Noms et prénoms africains.

A l’exception du basketteur chinois Yao Ming qui a un prénom similaire à celui des natifs de jeudi en ethnie éwé du Togo, et je suis d’ailleurs certaine que son « Yao » n’a rien à voir avec le notre (lol), je n’ai jamais vu d’asiatique, d’américain ou d’européen se prénommer Mamadou, Adjoa, Kouakou, Mazama, Sena, Myezi, Emeka, Camara et j’en passe. Soyons clairs, je parle là de personnes n’ayant aucune origine africaine. S’il y en a, je veux bien les connaître, parce qu’ils constituent des spécimens tellement rares qu’ils mériteraient de faire l’objet d’exposition en musée.

Combien d’entre nous ne portons pas de prénoms occidentaux? Combien d’africains portent exclusivement des prénoms africains ou les font porter à leurs gosses? Combien d’entre nous ne brandissons pas fièrement des pseudonymes américains ou même indiens sur nos réseaux sociaux? J’ai déjà vu des Carter, des Duroi, des Mackenzie, des Eldiablo et même des Jaysing africains et je trouve cela dommage (sans vouloir offenser qui que ce soit). Nous n’avons certes pas eu de choix par rapport à nos prénoms, mais je ne crois pas qu’il en soit de même pour les pseudonymes que nous arborons sur nos réseaux sociaux.

On me dira que l’Afrique a des problèmes plus sérieux que les prénoms et pseudonymes de ses fils et filles, je n’en disconviens absolument pas. Mais je sais que le déni par les africains de leur identité africaine est un signe flagrant de notre domination continuelle par les autres, et ça c’est un problème.
Nous avons longtemps été convaincus que tout ce qui vient de chez nous est laid, pas présentable et pas conforme aux normes. Mais sommes-nous conscients que bon nombre d’oeuvres d’art sont inspirées d’éléments culturels africains et que de nombreux masques, statuettes et bien d’autres objets originaires d’Afrique sont exposés et exploités par des musées étrangers?

Nos atouts culturels.

Si nous voulons comme nous le proclamons le développement de notre Afrique, si nous comptons réellement la voir prendre son envol dans quel que domaine que ce soit, nous devons déjà commencer par lui montrer plus d’amour et d’intérêt, à travers l’acceptation et l’appropriation de qui nous sommes.
Cela n’entraîne certainement pas le rejet de la totalité de ce que nous avons appris et que nous continuons d’apprendre des autres, ne dit-on pas qu’il faut de tout pour faire un monde?
N’empêche que nous devons arrêter de nous entêter à ressembler à tous le monde sauf à nous même.
Les personnes qui ont confiance en elles sont toujours respectées. Ceux qui ne se sentent pas obligés de s’excuser d’être ce qu’ils sont et qui s’assument forcent l’admiration, cela est une évidence.

Si nous voulons nous faire respecter par les autres et si nous tenons à être traités sur un même pied d’égalité qu’eux, nous ne devons pas hésiter à mettre en avant nos atouts culturels et surtout à travailler à leur développement.

A ce propos, je suis saisie d’un grand émerveillement à chacune de mes visites à Cotonou (Bénin). J’y retrouve la majeure partie du temps, des hommes et femmes joliment habillés en bomba* cousus dans divers tissus africains dont la majorité en wax * (même s’il faut reconnaitre que  le marché du wax est lui aussi toujours loin d’être contrôlé par les africains eux même…).
J’aurais par ailleurs appris que dans les administrations ghanéennes, les vendredis sont réservés aux tenues traditionnelles, ceci pour promouvoir la personnalité africaine et les créations made in Ghana*. J’en suis plus que ravie.

Crédit photo:CEOLN

Faisons en sorte de refléter l’Afrique peu importe l’endroit où nous nous trouvons. Erigeons nous en de dignes représentants de notre continent. Oui à l’intégration et à la mondialisation, de toute façon nous y sommes déjà de plein pied, mais Non au caméléonisme et au mimétisme.

Cela peut paraître un tantinet utopique vu le stade auquel sont les choses de nos jours. Je prends néanmoins le risque d’être traitée de rêveuse, parce que je ne crois pas que mon rêve de voir les african gods and goddesses* plus ancrés dans leur africanité soit irréalisable.

-I really don’t care: Je m’en fous réellement.

-Afi: Prénom attribué aux natives de vendredi en ethnie éwé au Togo.

-Bomba: Tenue traditionnelle cousue en divers tissus africains et principalement portée au Bénin; au Nigéria et dans d’autres pays de la sous région ouest africaine.

-Wax: Textile en coton ayant reçu sur les deux faces un cirage lui conférant des propriétés hydrophobes, il est très en vogue en Afrique subsaharienne.

-African gods and goddesses: dieux et déesses africains.


Faites comme chez vous!

Il est impossible de parler du mode de vie africain sans faire un clin d’oeil aux célèbres « cours communes » fortement ancrées dans l’urbanisme de plusieurs pays, en particulier ceux subsahariens.

Les cours communes sont des habitations à loyers relativement modérés et les locataires y jouissent très peu voire pas du tout des joies de l’intimité dont bénéficient les heureux propriétaires de maisons privées communément nommées « villas ». Ceux-ci sont en effet appelés à partager avec les autres locataires non seulement une même cour, mais aussi et dans la plupart des cas, les mêmes installations sanitaires et même plus si affinités 😅.

Entré-couchés*, chambres-salons, deux chambres-salons pour les plus cossus (ou parfois, simplement les plus nombreux), cours moyennement spacieuses ou soldierlines*…, les modèles de cours communes sont moult et il y en a pour tous les goûts (ou pour toutes les bourses devrais-je plutôt dire).

Une personne n’ayant pas fait l’expérience ne comprendrait sûrement pas la portée de la chose, mais Dieu sait que la vie en cour commune n’est pas de tout repos.

L’un des points positifs c’est qu’on y a rarement l’occasion de s’ennuyer. Entre divers rebondissements tels les fréquentes disputes de couples ou de voisins et les nuisances sonores répétitives, l’ambiance y est souvent électrique. Du coup, lorsqu’on n’est pas du genre à faire des concessions ou que l’on est d’un tempérament bagarreur, les choses font vite de partir en cacahuète.

Au delà de ce tableau peu attrayant, et contrairement à ce qu’on peut imaginer, il existe quelques avantages à ce mode de vie qui malgré tout reste bien entendu plus une contrainte qu’un choix (il ne faut pas exagérer non plus).
En effet, l’enfance en cour commune est l’une des plus formatrices, des plus mouvementées et aussi des plus joyeuses. Quand on est un gosse, on est forcément heureux de vivre dans la même concession que quelques uns de ses camarades d’école, de partager avec eux des moments de jeux, des repas et de passer les fêtes de fin d’année entre plusieurs foyers. On a en fait constamment l’impression de vivre dans une colonie de vacances entouré de frères, soeurs, cousins et cousines. On se sent même privilégié. Bien entendu, les rivalités et querelles entre les gamins ne sont pas rares non plus. Le critical point* reste tout de même l’adolescence ; cette période où l’on a besoin de plus d’espace, d’intimité, d’attention et où l’on est en perpétuelle compétition avec tous les autres du même âge. l’adolescence est l’une des périodes les plus difficiles à vivre quand on habite une cour commune et, par conséquent, on possède rarement, alors là vraiment très rarement sa propre chambre. Le summum des ennuis c’est quand on fréquente une école dont la majorité des camarades a un niveau de vie nettement plus élevé et ignore donc les contraintes du mode de vie qu’est le vôtre. De là naissent malheureusement plusieurs complexes. En plus de la honte et du mépris de la maison, on ressent un sentiment d’injustice, on en vient même par moment à en vouloir aux parents.

Malgré tout l’inconfort que la vie en cour commune peut comporter, il faut reconnaître qu’on y forge vraiment son caractère. On devient parfois plus sociable, on attise son désir de se surpasser pour offrir mieux à sa progéniture et on est amené à se battre pour réaliser quelque chose de propre à soi. On est doublement motivé et parfois contraint d’être précocement mature.
Il ne faut pas non plus oublier que les cours communes reflètent beaucoup mieux le mode de vie originel africain caractérisé par une forte mitoyenneté et un sens naturel du partage.

Bonne ou mauvaise, cette expérience a un impact sur la personnalité. On en sort plus solidaire (ou malheureusement plus nuisible pour une certaine catégorie d’individus…), plus apte à se passer de certaines commodités lorsque les circonstances l’exigent, plus fier de ses accomplissements malgré les difficultés relatives à ce mode de vie et certainement plus conscient de certaines réalités. On y puise même parfois l’inspiration pour écrire des articles. Alors comme dirait l’autre, «N’est ce pas grandiose?» 😉

Entré-couchés*: Appellation communément employée au Bénin et en Côte d’ivoire  pour désigner les logements constitués d’une seule pièce.

Soldierlines*: Appellation communément employée au Togo pour désigner les cours communes comportant un nombre pléthorique de logements et donc laissant peu de place à une cour.

Critical point*: Moment ou point critique, crucial.