Silence, on étouffe !

Article : Silence, on étouffe !
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6 mai 2020

Silence, on étouffe !

La génération Y-Z africaine et son rapport à la politique…

La première université de l’Engagement à laquelle j’ai participé en juillet 2019 dans les hauteurs du Vercors m’a permis de réaliser l’étendue de l’engagement politique et sociétal des jeunes que j’y ai côtoyé. Alors, il s’agit peut-être d’une tranche assez instruite et/ ou particulièrement informée. Mais lorsque j’ai mis face à face le rapport qu’a cette tranche de population française à la vie politique avec celui que celle de la population togolaise (par extension africaine) entretient avec la chose politique, mon constat est clair. Il n’a ni la même nature, ni la même ampleur.
Je me rappelle d’une soirée où, discutant avec deux amis autour d’un verre, ces derniers ont basculé sur des sujets politiques. J’ai tout de suite et avec une grande vigueur manifesté le profond ennui que cela m’inspirait, les priant de parler de choses plus « intéressantes ». Depuis, au fil de mes rencontres, de mes expériences, de mes lectures et découvertes, mes priorités ont été réajustées, je ne suis plus en mesure de tenir le même discours.


Je ne considère pas que tout le monde doive être passionné de politique, mais il est certain que l’état de désintérêt dans laquelle nous pataugeons n’augure pas un relai rassurant pour la direction future de nos pays. Sur la scène géopolitique internationale de demain, l’Afrique est-elle sure d’avoir une jeunesse formée, informée, prête à défendre ses intérêts face à des interlocuteurs de taille ?
Avant d’en arriver là, il faudrait peut-être faire (re)naître la flamme militante au sein de la génération Y-Z togolaise (africaine). Pour cela, ne faudrait-il pas que la manière dont la vie politique se vit, se construit, s’alimente, se fait et se défait puisse inspirer un quelconque attrait ?

Soirée des lauréats, Universités de l’Engagement, Juillet 2019

Bien que n’étant pas particulièrement au fait de l’actualité politique française, j’ai toujours trouvé intéressante l’émulation qu’on y ressent. On ne pourra certainement pas épurer la scène de certains personnages venimeux (suivez mon regard), mais même si elle n’est pas parfaite, j’apprécie au moins le fait que cela soit aussi mouvant, vivant, présent, évolutif, contradictoire.
C’est peut-être cela qui nous manque. Comment demander à la jeunesse d’arroser une plante qui à tout égard semble morte ? Un espace politique et médiatique souvent monopolisé, monotone et monocorde. D’un ennui qui ne dit pas son nom. Allergique à toute sorte de nouveauté et n’hésitant pas à étouffer toute voix contradictoire, à étouffer à coup de corruption et d’intimidation tout germe de renouveau.

De 1994 à 2020, un combat perdu d’avance ?

Elom m’a appelée il y a quelques jours, il semblait inquiet. « Qu’est-ce qui vous motive, vous les jeunes aujourd’hui ? C’est qui vos modèles ? Quels sont vos engagements ? » Il a bien raison, la situation n’est guère rassurante.
Dans son morceau Ubuntu tiré de l’album Améwuga, On l’entend dialoguer avec Enoueke, son garçon de 6 ans. Une balade lyrique, poétique et rythmique de 5 minutes qu’en écoutant les yeux fermés, dessine des contours aussi purs que le premier dessin d’un enfant. Gribouillis, mignonne maladresse et innocence dans laquelle une pointe d’hésitation côtoie une absolue conviction. Enoueke rêve de monter sur un hôtel, d’attacher une cape sur son cou, de sauter et d’essayer de voler, pour ainsi chaque nuit, sauver le monde en le débarrassant des voleurs. Un rêve de justicier. Donner la parole à une personne, c’est une marque de respect, c’est dire sans les mots à cette personne qu’on la considère et qu’elle compte. Quand comprendront-ils que nos ventres ne sont pas des tombeaux destinés à recueillir les ossements de toutes les pensées que nous avons trop craints de formuler ?

Il y a des histoires que les plus âgés que moi racontaient sur les événements de 1994. Je ne les ai pas vécus, mais les épisodes de 2005 et plus récemment de 2020 (élections présidentielles au Togo) ne sont pas non plus de nature à inciter à un engagement dont l’issue semble de toute évidence perdue d’avance.
Loin de moi la volonté de jouer les pessimistes (Dieu sait pourtant que j’ai des raisons de l’être), mais je pose simplement comme cause majeure de ce désintérêt, la morosité de notre vie politique. Tout ce qui nous reste, c’est un débat extrêmement superficiel, des positionnements mous et flous, se limitant au pire à quelques soupirs indignés et au mieux à quelques coups de gueule – d’activistes – sur internet.

Visuel album Amewuga, Elom 20ce
Visuel album Amewuga, Elom 20ce

Boomers Vs Millenials

Il y a aussi cette tendance qu’on a à étouffer la parole des plus jeunes sous prétexte de leur immaturité. La vérité sort de la bouche des enfants dit-on. Cette vérité qui dans nos cultures est plus infantilisée que de raison. Il y a une réflexion que j’ai toujours trouvée toxique parce qu’elle symbolise selon moi le rejet de la pensée des jeunes. « Ah mais c’est qu’il a évolué le petit, il veut maintenant se prononcer dans les affaires de grandes personnes ». J’avais l’impression de rapetisser à chaque fois qu’elle étaient formulée à mon endroit. L’impact de cet assemblage de mots me hante jusqu’aujourd’hui où elle sonne encore à mon oreille lorsque j’ai une idée à formuler, mon avis à donner. Le fameux respect qu’on est censé devoir aux aînés ne laisse parfois pas de place à la liberté d’expression des moins âgés. Non pas que je sois contre le respect mais lorsqu’il devient un outil qui bâillonne d’autres, convenons qu’il est nuisible.

On parle souvent de l’accueil réservé aux messages de Greta Thunberg par certaines personnalités. Intimidation, infantilisation, moqueries et bien d’autres douces amabilités dont la maîtrise semble être détenue par une espèce qui a toujours existé et que nous avons maintenant la chance de pouvoir nommer : les boomers. Beaucoup de jeunes africains sont des Greta en puissance et au quotidien.
Le phénomène boomers Vs millenials n’est pas exclusivement occidental. L’une de mes œuvres littéraires africaines préférées, consacrée à la thématique du conflit de générations en est la preuve. « Toute la vie est régie par une seule loi, celle de la hiérarchie de l’âge, de l’expérience et de la sagesse. » c’est bien de Sous l’orage, publié en 1963 par Seydou Badian que sort cette citation. Qu’on ne s’étonne donc pas que la jeunesse ait du mal à construire une pensée et des avis autonomes.

Un système opaque et impénétrable

Un autre aspect est l’opacité de nos systèmes. Il est bien dans l’intérêt de certains individus et Etats que la gestion de nos pays reste floue. Un lieu saint où ne peuvent s’introduire qu’une lignée d’initiés. Le terme lignée s’accorde bien à la situation de certains de nos pays (30, 40, 50 ans de passe-passes du trône présidentiel entre les membres des mêmes clans, sans alternance, ça vous dit certainement quelque chose) Aucun compte-rendu, aucun sentiment d’obligation de résultats. On ne peut être attiré par quelque chose que l’on ne connait pas. De la transparence découlera l’attractivité. Ah, j’oubliais, ils ne veulent pas que nos ambitions s’étendent jusqu’aux sphères politiques. La politique, c’est pour les grands, de préférence une meute irremplaçable de grands.

Entre gentillesse innée et résignation

« Je ne sais plus partager mes idées dans un environnement aussi hostile que celui entretenu par le système  »politique » au Togo… Moins encore sur Facebook… La conspiration que nous découvrons est aussi lourde ; c’est à se demander : Pourquoi ? »

Prince Asrafo Plakoo-Mlapa, Prince de Togoville. 1er mai 2020
Image instagram Nerys Dosseh (MlleDosseh)

J’ai souvent entendu dire que les togolais sont de toute la population ouest africaine les plus pacifistes, les plus timides. J’ai moi même plus d’une fois ressorti comme un joker cette phrase pour justifier mon caractère parfois maladivement effacé. Tout en sachant très bien que notre incapacité à revendiquer, à réclamer et exiger ce qui nous revient de droit n’a rien de normal et encore moins d’inné.

Je ne viens pas dresser une liste de solutions. A ce stade, soyons clairs, je n’en ai pas. D’ailleurs, consciente de mon incapacité à trouver ne serait-ce qu’une ébauche de remède, j’ai hésité à écrire ce texte. Puis je me suis dis (ou plutôt rassurée en disant) qu’au final, être consciente de cet état de fait et en dresser un constat, c’est aussi manifester la volonté de cette jeunesse qu’on accuse de paresse intellectuelle et de manque d’ambition de participer à une vie politique plus saine, moins hostile.

Il y a certainement des points non abordés dans cet article qui de toute façon mériterait d’être approfondi (je m’accorde la liberté de le compléter au fur et à mesure ou d’en publier une suite). Tout élément complémentaire, angle de vue différent sur la question, référence (études, articles, livres) qui pourrait corroborer le sujet, serait la bienvenue. Prenez soin de vous et des vôtres ! #UBUNTU

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Commentaires

Mawulolo
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Afi de la cour commune,
J'espère que tu ne seras plus indifférente maintenant aux affaires publiques de ton pays.
Tes constats sont justes et tout est fait pour que les gens se désintéressent de la politique ou du moins des conditions de vie générales.
On dit souvent : que tu fasses ou non la politique, ses conséquences te toucheront.
Ben moi je dis alors de dire aux gens "Jeunesse dans les affaires du pays : demain d'accord mais aujourd'hui d'abord"

Afi Affoya
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Ahah ! Indifférente, je ne l'ai jamais été, dépassée plutôt.