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16 juillet 2017

Ces mots qui traduisent des maux

 

Parfois, il s’agit juste d’essayer quelque chose de nouveau.
Il s’agit de retourner à la case départ, à ses origines
et de s’inspirer d’une histoire autrefois racontée,
d’un marché peuplé et coloré,
des traces de pas restées figées dans le sable,
de la douce lumière d’un lampion perché là haut,
du crépitement du feu, d’une danse ou de la famille,
du regard vif d’une vielle dame assise au coin d’une case,
des poils broussailleux sortant de la trompe d’un éléphant,
du soleil jetant ses dernières lueurs avant de se retirer,
d’une grosse goutte de pluie s’abattant sur le sol, soulevant autour d’elle une couronne de poussière,
des bourdonnements d’un essaim d’abeilles s’attelant à fabriquer du miel,
ou bien d’une chute dans le profond bleu de l’océan.
Il s’agit de rêver d’une société mâture, de la reconstruction de l’être.
Il s’agit de récolter ici et là pour créer du nouveau, du frais, du craquant et du doux, ou pas.
Puis vient encore une danse, cette fois ci pour célébrer l’accomplissement,
le bonheur d’être libre d’être soi.
***

Vous l’aurez remarqué, j’ai commencé par un assemblage de mots. Mais en fait ils n’ont pas grand chose à voir avec mon sujet principal donc bzbzbzbzzzbzzzbbbzzzzz  je rembobine et je recommence (je sais, je suis un peu désaxée) 😄.
Venons maintenant à nos moutons.

Voyages nocturnes

Depuis que j’ai quitté Lomé, mes rêves m’y ramènent très souvent.
Certaines nuits, je me retrouve le matin dans mon ensemble bleu/kaki devant le Collège Protestant Lomé-Agbalépédogan (mon ancien collège), attendant d’apercevoir ma copine Maléki pour notre traditionnel saut chez la vendeuse de riz avant le début des cours. D’autres fois, c’est depuis ma chambre que je me vois gueuler après mon cousin qui encore une fois ne s’est pas gêné pour engloutir les restes de mon déjeuner, sachant que je termine rarement d’un seul coup mes repas et donc que mes restes, personne n’y touche 🙁 .

Hier nuit, c’est au marché de Totsi que j’étais avec ma mère comme tous les samedis avant.
Le soleil était accablant et frappait mon dos à travers les mailles de mon tricot sans que les toitures en paille qui couvrent les hangars abritant les étalages des bonnes dames ne puissent y faire grand chose. Nous n’étions arrivées que depuis quelques minutes mais j’étais déjà impatiente de retourner à la maison, et fidèle à mes habitudes, je me mis à râler 😆.
Une demi heure plus tard notre cabas était presque plein, mais pas question pour maman de décamper sans passer par l’étalage de Da Massan, une dame originaire de Kpalimé, l’une des plus belles villes du Togo, située dans les montagnes et réputée pour la qualité de ses produits vivriers. C’est chez elle que ma mère s’approvisionne depuis toujours en tubercules (ignames, manioc…) et c’est donc grâce à elle que nous avons le plaisir de déguster tous les dimanches le délicieux foufou à la sauce d’arachide et viande de boeuf de maman (qui en toute modestie fait partie du Top 5 des meilleurs plats du monde 😋).

La femme du blanc

Ce qui m’a marqué chez cette dame au point qu’elle apparaisse dans mes rêves, ce n’est pas tant la qualité de ses tubercules mais l’appellation par laquelle elle me désignait lorsque ma mère et moi faisions un détour par son étalage.
Assise toute menue sur le tabouret installé derrière ses marchandises, elle s’arrachait presqu’instantanément à ses discussions toujours si mouvementées avec sa voisine et s’écriait toute souriante « yovo sron woézon » (« bienvenue la femme du blanc ») à chaque fois qu’elle nous apercevait.
En fait, cette appellation veut dire dans ce contexte « celle qui est digne d’épouser un blanc » et n’est pas une invention de la marchande. Son origine remonte certainement aux périodes coloniales et elle est répandue dans tout le pays, du moins dans la région maritime où l’éwé est majoritairement parlée.

Pour l’adolescente que j’étais et pour toutes celles nommées ainsi [je suppose], il ne pouvait exister plus beau compliment; c’était tout simplement un privilège d’être considérée comme ayant les qualités requises pour épouser un blanc. Ce n’est qu’avec le temps que je me rendis compte de l’absurdité de l’expression, de l’énorme complexe qu’elle représente pour ceux qui l’emploient et surtout de l’illusion qu’elle semait en celles cataloguées ainsi.
Je m’explique.

Il existe dans la communauté africaine une tendance malsaine à surestimer et même diviniser les relations interraciales (noir/blanc plus particulièrement).
En gros, dans la conscience collective, l’union avec un « Yovo » (blanc) serait le summum des accomplissements et dans une famille africaine, du moins pour le peu que je sais, avoir un membre qui épouse un(e) blanc(che), c’est le must.

Ce « yovo sron » innocemment et gentiment attribué la plupart du temps par la famille et l’entourage aux jeunes personnes se démarquant par leur physique avantageux, par leur intelligence ou par leur style de vie semble vouloir dire « désolé mais une fille d’une aussi grande finesse n’est pas faite pour un noir » et vient illustrer ce que l’écrivain Aimé Césaire considérait comme « la peur, le complexe d’infériorité, le tremblement, l’agenouillement, le désespoir, le larbinisme savamment inculqué aux noirs ».

Pas d’amalgame

Je tiens à souligner qu’il n’est aucunement question ici d’une quelconque forme d’insurgence contre les relations interraciales qui ne sont certainement pas moins belles que d’autres.
Ce dont il est question, c’est un état des lieux de l’étendue du complexe d’infériorité au sein de la communauté noire. C’est dans cette optique que Frantz Fanon dans sa thèse de doctorat en psychiatrie, publiée en 1952 sous le titre Peau noire, masques blancs s’était insurgé contre Mayotte Capécia, auteure martiniquaise, qui dans son ouvrage Je suis Martiniquaise a proclamé sa haine de l’homme noir auquel elle préférait « un blond avec des yeux bleus ». Selon le Dr Fanon « c’est vers la lactification que tend Mayotte. Car enfin il faut blanchir la race : cela, toutes les Martiniquaises le savent, le disent, le répètent ».

Ce qu’il faut retenir au bout du compte, c’est que l’ancrage de ce genre d’expressions dans nos habitudes est source de profonds malaises qui n’avantagent ni les uns ni les autres.
Il est à l’origine de manigances de la part de certains noirs(es) qui usent de moyens douteux pour s’unir à leur partenaire blanc(che), engendrant des relations calamiteuses, renforçant la crise de confiance déjà existante et entrainant la stagnation des mentalités ainsi que la survie des préjugés sur les noirs.
Aussi maintien t-il les noirs dans cette idéalisation du mode de vie occidental, ce qui a sans nul doute des conséquences aux niveaux psychologique (cas de Mayotte Capécia), sociologique (phénomène de blanchiment de peau) et démographique (multiplication du nombre de candidats à l’immigration clandestine dont on connaît les suites).
Enfin et surtout, il reflète une sorte d’auto-racisme ou d’ethnomasochisme qui vulnérabilise à bien des égards notre communauté.

 

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Commentaires

Marek
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Ouloulouuu... Bien écrit ma Yovo sron!!! Rien a redire. Tout est ClAir.. Clair comme tchatcho congolais.

Afi Affoya
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:D :D :D va falloir m'expliquer "tchatcho congolais" là

Jérémie
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Instructif vraiment

Afi Affoya
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Ahhhh tu l'as luuuuuu. Akpé kaka :) :) :)