Dépression dans les rangs des étudiants africains à l’étranger : parlons-en !
Le texte ci-dessous a pour but de traiter un sujet qui touche en silence de plus en plus de personnes. Il s’agit de la dépression des jeunes africains partis étudier à l’étranger. Essayons d’appréhender le phénomène dans son entièreté, à travers quatre points essentiels.
Section 1: récit d’une jeune femme
« Valises faites, adieux aussi, tu es encore à mille lieues d’imaginer les crises d’angoisses nocturnes qui t’attendent lorsqu’en plein -5 degrés, tu te retrouveras seule dans ta chambre. Tellement seule que tu te lanceras dans des dialogues avec toi même. Mille et une questions, souvent pas très gaies, te traversent alors l’esprit. «Qui appeler s’il m’arrivait quelque chose là maintenant? A qui téléphoner si je fais une chute sous la douche et si je me casse la gueule? Je ne vais quand même pas appeler maman, elle risque de trop s’inquiéter... (j’avoue, c’est un peu parano, lol)». Résultat : tu prends sur toi et tu essaies de chasser tes mauvaises pensées. Mais après quelques jours, à bout de nerfs, tu craques, tu appelles une amie, et avant qu’elle ne dise un mot, rien qu’au son de sa voix, tu éclates en sanglots, tu pleures à n’en plus finir.

Après quelques mois à l’étranger, tu as mangé plus de riz et de pâtes que tu en as mangé durant toute ta vie. A tel point que la pâte de farine de maïs que tu détestais tant te manque ! Puis un jour, par bonheur, tu tombes sur une boutique de produits vivriers africains, qui coûtent bien sûr dix fois plus cher que ceux de chez toi, mais tu prends sur toi, «ça n’arrive pas souvent», te dis-tu pour amortir le choc que va subir ton portefeuille. Tout ce qui compte, c’est que tu vas te régaler. Ta sauce gombo ne sera certainement pas aussi bonne que celle de maman, mais tu ne vas pas te plaindre pour une fois que tu peux manger autre chose que la combinaison riz-pâtes-frites surgelés.
Et tu comprends à ce moment la signification du dicton «on est mieux chez soi». Qu’on ne s’y méprenne pas, tu es partie pour un but et tu es consciente de devoir l’atteindre. Mais c’est juste trop compliqué parfois.
Tu trouves alors marrant ceux du pays qui crient haut et fort leur mépris pour la terre de leurs aïeux, mais ô combien tu les comprends. N’es-tu pas passée par là toi aussi ? Et ne dit-on pas qu’on ne connaît la valeur d’une chose que lorsqu’on la perd?
A présent le soleil te manque. Les salutations incessantes qui se transforment parfois en séances de commérages, le bruit assourdissant des taxi-motos, les visites sans rendez-vous et les cris de gamins qui jouent devant ta maison les après-midis te manquent. Bref, l’Afrique te manque…
Voici partiellement résumé le parcours d’une majeure partie de la population estudiantine africaine établie hors du continent. C’est le côté le plus sombre, celui qui est à l’opposé des paillettes et du strass fantasmés et sur lequel peu de jeunes s’expriment ouvertement pour diverses raisons.
Section 2: focus sur les étudiants africains
La dépression c’est peut-être cet état constant de vide dans lequel vous êtes plongé. Ce gouffre que vous sentez lentement mais sûrement s’installer en vous. Cet état de tristesse qui parfois sans raison précise vous colle à la peau, ce désespoir et cette impression permanente d’être minable, laid et sans valeur. Ce sont ces pensées suicidaires qui vous taraudent, et c’est votre vivacité que vous sentez peu à peu décliner.
Elle peut durer dans le temps ou être temporaire et sera, selon l’intensité des symptômes, qualifiée de légère (déprime), modérée ou majeure (dépression clinique).

Cet état de santé a, bien entendu, des causes diverses. Tous ceux qui sont touchés devraient peut être essayer de comprendre les causes de cet état si difficile à vivre. Chaque situation est particulière, c’est du cas par cas. A chaque patient la cause intrinsèque de son mal être. Et parlant des étudiants africains, les causes prennent également une tournure spécifique, liée à leur condition.
La solitude, l’isolement, le manque de moyens financiers, le sentiment de ne pas être accepté, le changement drastique du mode de vie ou parfois du climat… toutes ces nouveauté sont quelques uns des agents provocateurs de cet état chez certains jeunes.
A cela, il faut ajouter à cela la pression de certaines familles, dont les attentes sont souvent énormes. « Tu es l’espoir de la famille, il faut que tu réussisses pour que tes frères et soeurs puissent te rejoindre là-bas, ne gâche pas la chance que tu as d’être parti… ». Certains de ces étudiants se sentent ainsi contraints de soutenir ceux qui sont restés au pays alors qu’ils ont eux même du mal à s’en sortir financièrement. Manque de bol, nous vivons dans une société où l’on a tendance à retirer au démuni le peu qu’il a et à offrir toujours plus au riche. Ce qui est loin d’être arrangeant pour les jeunes étudiants africains qui se retrouvent presque tous du mauvais côté du tableau.
On a aussi souvent entendu des propos du genre « On est tous passés par là » ou« C’est le passage obligé de tout étudiant étranger ». Ces affirmations ne sont pas fausses… Mais nous ne ressentons pas tous les choses de la même manière, et nul n’a le droit de quantifier la souffrance d’autrui. Banaliser le phénomène ne fait d’ailleurs que noyer davantage les personnes qui ressentent un mal être profond.
« Nous ne ressentons pas les choses de la même manière et nul n’a le droit de quantifier la souffrance d’autrui. »
Venons-en à présent à cette tendance que nous, africains, avons à négliger les aspects mentaux de la santé. Classant à tort la dépression et autres troubles mentaux dans la case des « maladies de blancs ou de riches ». Dans notre société africaine, ces troubles ne sont pris au sérieux que lorsqu’ils atteignent un point critique. Aussi sont-ils criblés de préjugés, ce qui empêche de les cerner de manière objective et claire.
Non, la dépression n’est pas une maladie de blancs, ni de faibles d’esprit. La précarité est d’ailleurs une situation qui crée de l’angoisse et donc une des causes de ce sentiment de mal être. Qu’on ne vienne donc surtout pas me dire que la depression est une maladie de riches, comme s’il s’agissait d’un hobby.
Section 3: manifestations et approche de solutions
Les impacts de la dépression chez les étudiants africains vivant à l’étranger se ressentent bien évidemment sur les résultats académiques et sur leur rapport aux études (dégringolade des notes, décrochage pour certains). Un étudiant autrefois vif et performant deviendra nonchalant et désintéressé. Autrefois sociable et ouvert, il deviendra peut être colérique, isolé ou amer. Le recours aux stupéfiants fait aussi partie du lot des manifestations de ce trouble mental. On pense alors trouver un réconfort dans l’évasion temporaire offert par l’alcool et autres stupéfiants. Mais c’est juste une fuite, ça ne règle évidemment pas le problème.

Heureusement, dans la plupart des pays d’accueil, il existe des systèmes mis en place pour prévenir et soigner ce mal. Ils sont souvent ignorés par cette frange de la population mais n’en sont pas moins efficaces. En France par exemple, il y a les Association France-dépression, Info dépression, SOS Amitié, SOS Dépression, La Porte Ouverte, Entr’actes, Suicide Ecoute , SOS Suicide Phénix, Fil Santé Jeunes … Pour ceux des autres pays, internet saura vous aider à les trouver. Ces associations, organisations et numéros verts ont été instaurés pour une mission précise : aider les personnes à traverser les moments de troubles et de difficultés. Il n’y a donc aucune honte à se rapprocher d’eux et à leur demander de l’aide.
Pour faire face, voici quelques attitudes de base à adopter lorsque les signaux sont en alerte : essayer au maximum d’éviter l’isolement, essayer tant bien que mal de se divertir et de se défouler, en s’obligeant à exercer des activités extérieures, auxquelles on se sent encore intéressé (plus facile à dire qu’à faire, je sais).
Il y a par ailleurs dans toutes les grandes universités des associations réunissant les diverses nationalités présentes. La majorité de ces associations représentent les étudiants ressortissants de pays africains. Elles sont pour ces étudiants des lieux de repère et de fraternité et doivent de ce fait mettre en place des cellules d’écoute ou des groupes de parole où les membres en souffrance peuvent entre eux s’exprimer et se décharger. Parler de son mal, c’est le premier pas vers la guérison. Dire ce que l’on ressent, parler, c’est en effet très important.
Section 4: appel aux parents et familles
Chers parents, nous avons pleinement consience que vous envoyez vos enfants à l’étranger et particulièrement dans les pays développés dans le but d’obtenir des résultats probants. Pour la plupart d’entre vous, cet investissement représente le sacrifice d’une vie, l’ultime espoir de réussite. Mais leur santé physique et mentale compte certainement pour vous plus que tout.
Même si la mission n’est pas toujours évidente, assurez-vous de loin qu’ils se sentent bien. Encouragez-les, réconfortez-les, et surtout ne paniquez pas lorsqu’ils vous appellent en pleurs. Parce que ne voulant pas inquiéter leurs proches, beaucoup préfèrent se taire pour s »en sortir tout seuls. Mais cela les isole, d’où la recrudescence du mal. Soyez prêts à être à leur écoute, à les soutenir, à être leur force lorsqu’ils en parle.

Et enfin, à toi qui ressens ce mal-être si profond que les mots pour le décrire semblent ne pas exister, sache que tu es tout sauf minable et inutile. D’ailleurs, au fond de toi, tu le sais. Sache aussi que tu peux t’en sortir, que tu as le droit de crier à l’aide s’il le faut. Tu as de la valeur, tu es aimé et tu comptes. Better days are coming... 😉
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