Afi Affoya

Le wax, un tissu africain fabriqué de toutes pièces

Une question me turlupine depuis un moment et je me demande si la problématique qui l’a soulevée en moi interpelle de temps à autre d’autres membres de la communauté africaine. J’avouerai même qu’une vague de déception m’envahirais s’il s’avérait qu’il n’existait qu’une poignée de personnes qui s’intéresse à cette question, parce que la chose me semble trop incongrue pour rester longtemps inaperçue.
Vous avez sans doute senti passer ou même pour la plupart été touchés par le vent de « neo-négritude » (je ne sais pas quel autre mot utiliser) qui souffle depuis un bout de temps sur le continent africain, la diaspora africaine et en général la communauté noire de part le monde.
Vous avez été au fil des dernières années témoins des nombreuses « révolutions » en matière capillaire (mouvement nappy) et vestimentaire (tendance des tissus africains).
Combien d’entre nous n’avons pas pour des motivations certes diverses mais toujours dans cette lignée de valorisation de la beauté naturelle noire, sauté le cap du big shop? Combien d’entre nous jeunes n’avons pas du tout au tout changé de discours sur le pagne africain, autrefois ringardisé et considéré comme un tissu de vieux, déambulant désormais têtes hautes, torses bombés dans des modèles de pagne les plus casuals les uns que les autres. Les défilés de mode pour marques de vêtements en « tissus africains » comme des champignons dans une forêt en saison pluvieuse poussent de tous côtés, cela n’est bien entendu pas pour nous déplaire, au contraire. Les signes ostensibles d’appartenance à la communauté africaine (prénoms, tissus, cheveux, accessoires…) s’exhibent de plus en plus de manière décomplexée et représentent même pour certains un moyen de revanche sur le diktat d’une mode africaine longtemps imposée par l’occident.
Je ne vous cacherai pas pour autant qu’il existe toujours des personnes de mon entourage qui continuent de s’indigner lorsque je décide de sortir en plein milieu de semaine habillée en Bogolan ou Kenté parce que selon eux « ce sont des accoutrements occasionnels ou au mieux réservés aux dimanches »; cela dit nous ne sommes visiblement pas sur la même planète donc je ne leur en tiens pas rigueur.
Ce n’est en aucun cas la volonté de jouer les rabats joie qui m’anime en écrivant ce texte mais plutôt celle de trouver réponse à mes multiples questionnements, j’estime en avoir le droit.

Le pagne de chez nous 

Tissu Bogolan

Je vous épargnerai la longue histoire du pagne tout en rappelant qu’en Afrique nous en avons moult; et parmi les plus connus on retrouve le Lokpo au Togo, le Dan fani au Burkina, le kenté au Ghana, le Kita en Côte d’ivoire, le bogolan au Mali, le Shuka chez les Massaï au Kenya, le Ndop en pays Bamiléké et bien d’autres encore. Tous savons la place de choix qu’occupent ces tissus rassemblés sous le vocable de pagne en Afrique.
Le pagne est en effet celui qui dans les mains tendues de ceux qui nous attendent à notre naissance couvre et nettoie notre petit corps, et depuis il nous suit à travers les diverses étapes de notre vie; de l’âge de la raison à l’âge adulte en passant par l’adolescence jusqu’aux vieux jours. Les plus vieux morceaux de tissus africains ont d’ailleurs été retrouvés par des archéologues dans des tombes dogon (Mali). Tout cela pour dire que le pagne et l’Afrique c’est plus qu’une histoire d’amour, c’est une histoire d’identité écrite à travers les moments clés de notre existence: naissance, mariage, mort…
Mis à part les différents types de tissus cités plus haut, il y a le wax qui est une autre catégorie de pagne non spécifique à un pays africain mais beaucoup plus commun à tous et plus répandu sur le continent. Il est à la fois le plus populaire, le plus accessible et forcément le plus apprécié. D’ailleurs quand nous africains parlons de pagne, c’est au wax que nous faisons presque automatiquement allusion. Il va donc sans dire (même s’il est toujours mieux de le dire 😉 ) que le wax est Le tissu des africains par excellence. Quoi de plus pratique d’ailleurs pour les membres de la diaspora africaine pour mettre en avant leur africanité que de fièrement se pavaner de temps à autre en wax sous les regards mi-admiratifs mi-perplexes des autres communautés. (😎)

Le wax, un agent double?

Mère & fille en Wax / Crédit: happuc photography

Elle n’est pas aussi dénuée de sens que ça cette question puisque si le wax est censé être l’un des éléments les plus représentatifs de la culture africaine, s’il est l’un des miroirs à travers lesquels le reste du monde perçoit notre africanité, s’il fait autant notre fierté et notre renommée, pourquoi est il majoritairement, sinon exclusivement importé?
Parce que OUI le wax n’est pas pour la majorité produit chez nous. Depuis qu’il a été introduit en Afrique occidentale par les hollandais au 19ème siècle, la relation fournisseurs-clients n’a pas vraiment évolué. Il a certes fait le rayonnement mondial des nana benz du Togo qui en ont été à une époque dorée les distributrices ouest africaines attitrées, les recettes générées par sa vente ont sans doute été d’une aide précieuse pour bon nombre de familles africaines, mais est-ce tout ce que nous sommes sensés espérer d’un produit dont la seule consommation africaine représente l’alpha et l’oméga de ses producteurs étrangers?
On m’opposera peut-être l’argument de la présence en Côte d’ivoire et au Ghana des usines Uniwax, GTP et que sais-je encore. Pourra t-on pour autant me dire qu’elles ne sont pas les filiales d’une quelconque usine textile hollandaise qui en détient des parts colossales?
Parce que nous connaissons tous des filiales d’usines étrangères implantées en Afrique et qui ne profitent en quasiment rien au continent. Donc ce débat n’a pas vraiment lieu d’être.
A moins que la Néerlande, et plus récemment la Chine, le Pakistan… qui trônent sur le marché du wax soient devenus à mon insu des « pays africains d’outre-mer », je ne vois pas la logique qui soutient cette situation. Quand on y pense en fait c’est comme si on a depuis toujours collé à ce tissu l’étiquette d’une identité africaine uniquement dans le but de favoriser son intégration et sa consommation massive sur le continent, cela au détriment des véritables tissus made in Africa avec le savoir faire et l’expérience que l’on connaît aux petites mains africaines. Une fois encore, les africains ne sont ni plus ni moins que les dindons de la farce, parce que soyons clairs et sincères envers nous même; les gesticulations autour de révolutions vestimentaires ne nous servent à rien si les retombées économiques ne profitent toujours qu’aux autres. De la même manière que le retour au naturel n’a aucun sens si les produits d’entretien des cheveux crépus ne génèrent pas d’intérêt à ceux là même qui sont auteurs et acteurs de ce mouvement, c’est à dire les noirs.
Ne paraîtrait il pas absurde que le tartan (tissu écossais en laine caractérisé par des carreaux) soit fabriqué quelque part au Ghana ou en Afrique du Sud… ou mieux encore que le marché de fabrication de la marinière, symbole de la mode française soit à 99% dominé par d’autres pays?

La « Black Pride » doit profiter aux noirs

Heureusement qu’au delà de cet envahissement du marché textile africain, il existe de plus en plus de créateurs et d’entrepreneurs (à l’image de moonlook) qui au lieu de choisir un outil de travail qui ne leur assure qu’un bénéfice personnel mais n’apporte en définitive pas grande plus value à leur communauté préfèrent travailler malgré les contraintes des matières fabriquées en Afrique par des africains afin de mettre en avant et de vulgariser le travail de ces artisans longtemps ignorés.

Porter du pagne c’est bien, créer une ligne de vêtements en pagne c’est super, ériger le pagne au rang de symbole identitaire c’est top, mais s’assurer que ce symbole identitaire soit avant tout source d’enrichissement pour la communauté c’est encore mieux. Comme le dirait l’autre, gbégnédzéagni! (j’en ai fini!)

 


La petite étoile qui aimait le clair de lune

Je m’appelle Xléti*, j’ai 400 millions d’années.
Ouuuuh ne faites pas ces yeux là, je ne suis qu’à l’aube de mon existence, mon espérance de vie est d’environ 10 à 15 milliards d’années.
En fait chez moi en milieu stellaire, les plus petits en taille vivent plus longtemps que les plus grands dont la durée moyenne de vie n’est que de quelques millions d’années; et moi je fais partie des minus de ma fratrie donc vous comprenez que je ne suis encore qu’un « bébé ». 😉
Je suis née en même temps qu’une centaine d’autres étoiles (oui, nous naissons parfois par centaine) et au début nous vivions tous ensemble dans une orbite pas très loin du soleil. Là bas, j’ai vécu l’une des époques les plus intenses et les plus heureuses de mon existence. Mais au fil des années et des migrations, nous nous sommes retrouvées éparpillées à travers la galaxie, menant chacune une existence solitaire; il ne s’agit là que du cours normal des choses. C’est d’ailleurs comme cela qu’il m’est arrivé l’un des meilleurs événements que je pouvait imaginer; je me retrouvais à un moment donné de mon trajet vers l’inconnu au dessus d’un petit village.
Il faut dire que je suis l’une des rares étoiles à ne pas m’être trop éloignée du soleil lors de la grande migration, je pu ainsi pendant longtemps bénéficier de sa proximité avec la terre.
Logé quelque part entre collines et montagnes, mon petit village (enfin le village au dessus duquel j’étais située) est un petit coin de paradis respirant à l’époque l’innocence des gosses préservés de la laideur des empreintes que laissent les aléas de l’existence à leur passage.
Depuis là où je me trouvais, il ne m’était bien entendu pas possible de distinguer avec exactitude les détails de ce panorama, mais je peux attester de l’incroyable verdure de la végétation qui contraste avec le gris du sol que je pense être rocheux. Le nord du village est traversé par un long fleuve dont je pouvais voir la silhouette en zigzag irrégulier et pendant la journée, lorsque le vent et les rayons du soleil dans leur transe viennent caresser sa surface, il se forme des rayures mouvantes et étincelantes, presqu’aveuglantes.

Clair de lune

Il n’est pas non plus rare que la lune, parfois plus éclatante que d’habitude décide d’envoyer à la surface du globe un jet de lumière beaucoup plus puissant que d’habitude, offrant ainsi aux hommes la possibilité ou devrais-je dire l’illusion d’une diurnité prolongée.
Ces moments là sont de loin mes préférés parce que révélant mon petit village sous un aspect des plus poétiques. Plus l’air était léger et mieux je pouvais profiter du spectacle avec limpidité. Je n’avais alors qu’à me delecter de l’immense scène qui se dévoilait sous mes yeux.
Je pouvais voir des silhouettes déambuler dans les champs de maïs avec nonchalance, puisqu’il était je pense prévu que les travaux de récolte finissent un peu plus tard que d’habitude. Le grand arbre du centre rassemblait comme à l’accoutumée du beau monde. Mais les soirs de clair de lune, la majorité de la population s’y rendait non pas pour se mettre au parfum des dernières rumeurs mais pour participer aux kermesses organisées par le comité des dames du village. Kermesses au cours desquelles vieux et jeunes pouvaient laisser libre cours à l’expression de leurs talents qui allaient de la musique à la danse et la comédie en passant par le plus apprécié, les contes, souvent réservés aux personnes âgées qui en maitrisaient fort bien l’art.
Il y avait aussi d’autres attroupements qui se formaient ça et là sur la place publique. Les discussions allaient de bon train entre certains groupes pendant que d’autres préféraient s’adonner à l’awalé ou à l’ampé, pour sa part très apprécié par les demoiselles.
Je pouvais apercevoir un quinquagénaire aux allures révérencieux, probablement le chef du village, réunissant une poignée d’hommes, probablement ses notables pour faire le point sur le jugement public mensuel ayant eu lieu il y a quelques jours, discuter des prochains « rituels de passage à l’âge adulte » des jeunes hommes et converser sur quelques sujets passés, présents ou futurs.
Je voyais aussi de jeunes enfants patauger bruyamment dans le fleuve, laissant aux aînés sensés les chaperonner le temps de quelques amoureries et tout cela certainement sous l’interdiction des parents.
Le clair de lune donnait vraisemblablement l’occasion à quelques libertinages; un peu comme ceux auxquels vous humains, vous laissez souvent aller lors de vos diverses célébrations.
Ah oui! De temps à autre, on profitait aussi de ces nuits éclairées pour fêter le baptême des premiers nés en partageant avec les familles concernées plusieurs sortes de mets très généreux et copieux.
Il régnait à ces moments là une telle animation à cet endroit qu’un lointain spectateur comme moi croirait assister à des festivités présidées par Khonsou(Égypte), Tsukiyomi(Japon), Séléné(Grèce) ou autres divinités de la lune.

Les lampes torche

Le parfum exquis d’insouciance et de légèreté qui s’élevaient de ces instants jusqu’à moi m’étaient devenues addictives et le présent clair de lune n’était pas encore terminé que déjà je me languissais du prochain.
Ce spectacle, jamais je ne m’en serais lassée. Je suis consciente l’égoïsme de mon désir mais si cela ne tenait qu’à moi, cet endroit aurait été éternellement pareil, une oeuvre brute de la nature. Je n’avais hélas pas la possibilité de freiner le car de la « modernité » que je voyais foncer vers mon village avec son lot d’avantages je dois bien le reconnaître, mais de méfaits aussi.
Arrivé à un moment, les jours se suivaient et se ressemblaient pour mon plus grand déplaisir. Depuis que des engins roulants dont j’appris plus tard le nom, motos avaient fait leur apparition, les longues marches qui menaient souvent à des salutations interminables n’étaient presque plus d’actualité. Le fleuve était la majeure partie du temps déserté par les enfants qui désormais étaient contraints à s’adonner à une nouvelle activité, l’école qu’ils ne semblaient guère apprécier.
Le plus douloureux pour moi fut la disparition du clair de lune. Je parle de disparition parce que l’événement avait perdu de sa substance, ce qui le rendait si spécial, l’effervescence qu’il apportait. En somme, les villageois possédant maintenant ce qu’ils appellaient des lampes torche avaient perdu tout intérêt pour le clair de lune, il n’existait plus d’activités réservées aux nuits éclairées. Comme il fallait s’y attendre, les liens qui existaient entre les villageois et qui rendaient cet endroit si hors du commun se mirent peu à peu à s’effriter.
Il m’arrivait de mettre de côté mes états d’âme personnels et de me convaincre du bien fondé de tous ces changements. Je me disais que tout cela était un passage obligé, une étape transitionnelle qui ne serait peut-être pas aussi bouleversante que je le craignais, mais cela ne durait franchement pas très longtemps. Il suffisait que mon regard se pose sur un de ces énormes engins rasant des étendues immenses de verdure pour quelle raison, je ne saurai vous dire, pour que mes craintes refassent vite surface.
Rien n’aurait plus été comme avant, je l’ai su. Et avant que ces images ne viennent remplacer dans mes souvenirs les merveilleux moments vécus à cet endroit, je pris la décision de m’en aller.
Je ne suis pas vraiment du genre à croire au destin, mais il m’arrive de me dire (ne serait-ce pour me consoler) qu’il fallait peut-être qu’il arrive ce qui est arrivé pour que je puisse me résoudre à quitter, à tourner la page, à entamer un nouveau chapitre.

 

Xléti = étoile en éwé


Ces mots qui traduisent des maux

 

Parfois, il s’agit juste d’essayer quelque chose de nouveau.
Il s’agit de retourner à la case départ, à ses origines
et de s’inspirer d’une histoire autrefois racontée,
d’un marché peuplé et coloré,
des traces de pas restées figées dans le sable,
de la douce lumière d’un lampion perché là haut,
du crépitement du feu, d’une danse ou de la famille,
du regard vif d’une vielle dame assise au coin d’une case,
des poils broussailleux sortant de la trompe d’un éléphant,
du soleil jetant ses dernières lueurs avant de se retirer,
d’une grosse goutte de pluie s’abattant sur le sol, soulevant autour d’elle une couronne de poussière,
des bourdonnements d’un essaim d’abeilles s’attelant à fabriquer du miel,
ou bien d’une chute dans le profond bleu de l’océan.
Il s’agit de rêver d’une société mâture, de la reconstruction de l’être.
Il s’agit de récolter ici et là pour créer du nouveau, du frais, du craquant et du doux, ou pas.
Puis vient encore une danse, cette fois ci pour célébrer l’accomplissement,
le bonheur d’être libre d’être soi.
***

Vous l’aurez remarqué, j’ai commencé par un assemblage de mots. Mais en fait ils n’ont pas grand chose à voir avec mon sujet principal donc bzbzbzbzzzbzzzbbbzzzzz  je rembobine et je recommence (je sais, je suis un peu désaxée) 😄.
Venons maintenant à nos moutons.

Voyages nocturnes

Depuis que j’ai quitté Lomé, mes rêves m’y ramènent très souvent.
Certaines nuits, je me retrouve le matin dans mon ensemble bleu/kaki devant le Collège Protestant Lomé-Agbalépédogan (mon ancien collège), attendant d’apercevoir ma copine Maléki pour notre traditionnel saut chez la vendeuse de riz avant le début des cours. D’autres fois, c’est depuis ma chambre que je me vois gueuler après mon cousin qui encore une fois ne s’est pas gêné pour engloutir les restes de mon déjeuner, sachant que je termine rarement d’un seul coup mes repas et donc que mes restes, personne n’y touche 🙁 .

Hier nuit, c’est au marché de Totsi que j’étais avec ma mère comme tous les samedis avant.
Le soleil était accablant et frappait mon dos à travers les mailles de mon tricot sans que les toitures en paille qui couvrent les hangars abritant les étalages des bonnes dames ne puissent y faire grand chose. Nous n’étions arrivées que depuis quelques minutes mais j’étais déjà impatiente de retourner à la maison, et fidèle à mes habitudes, je me mis à râler 😆.
Une demi heure plus tard notre cabas était presque plein, mais pas question pour maman de décamper sans passer par l’étalage de Da Massan, une dame originaire de Kpalimé, l’une des plus belles villes du Togo, située dans les montagnes et réputée pour la qualité de ses produits vivriers. C’est chez elle que ma mère s’approvisionne depuis toujours en tubercules (ignames, manioc…) et c’est donc grâce à elle que nous avons le plaisir de déguster tous les dimanches le délicieux foufou à la sauce d’arachide et viande de boeuf de maman (qui en toute modestie fait partie du Top 5 des meilleurs plats du monde 😋).

La femme du blanc

Ce qui m’a marqué chez cette dame au point qu’elle apparaisse dans mes rêves, ce n’est pas tant la qualité de ses tubercules mais l’appellation par laquelle elle me désignait lorsque ma mère et moi faisions un détour par son étalage.
Assise toute menue sur le tabouret installé derrière ses marchandises, elle s’arrachait presqu’instantanément à ses discussions toujours si mouvementées avec sa voisine et s’écriait toute souriante « yovo sron woézon » (« bienvenue la femme du blanc ») à chaque fois qu’elle nous apercevait.
En fait, cette appellation veut dire dans ce contexte « celle qui est digne d’épouser un blanc » et n’est pas une invention de la marchande. Son origine remonte certainement aux périodes coloniales et elle est répandue dans tout le pays, du moins dans la région maritime où l’éwé est majoritairement parlée.

Pour l’adolescente que j’étais et pour toutes celles nommées ainsi [je suppose], il ne pouvait exister plus beau compliment; c’était tout simplement un privilège d’être considérée comme ayant les qualités requises pour épouser un blanc. Ce n’est qu’avec le temps que je me rendis compte de l’absurdité de l’expression, de l’énorme complexe qu’elle représente pour ceux qui l’emploient et surtout de l’illusion qu’elle semait en celles cataloguées ainsi.
Je m’explique.

Il existe dans la communauté africaine une tendance malsaine à surestimer et même diviniser les relations interraciales (noir/blanc plus particulièrement).
En gros, dans la conscience collective, l’union avec un « Yovo » (blanc) serait le summum des accomplissements et dans une famille africaine, du moins pour le peu que je sais, avoir un membre qui épouse un(e) blanc(che), c’est le must.

Ce « yovo sron » innocemment et gentiment attribué la plupart du temps par la famille et l’entourage aux jeunes personnes se démarquant par leur physique avantageux, par leur intelligence ou par leur style de vie semble vouloir dire « désolé mais une fille d’une aussi grande finesse n’est pas faite pour un noir » et vient illustrer ce que l’écrivain Aimé Césaire considérait comme « la peur, le complexe d’infériorité, le tremblement, l’agenouillement, le désespoir, le larbinisme savamment inculqué aux noirs ».

Pas d’amalgame

Je tiens à souligner qu’il n’est aucunement question ici d’une quelconque forme d’insurgence contre les relations interraciales qui ne sont certainement pas moins belles que d’autres.
Ce dont il est question, c’est un état des lieux de l’étendue du complexe d’infériorité au sein de la communauté noire. C’est dans cette optique que Frantz Fanon dans sa thèse de doctorat en psychiatrie, publiée en 1952 sous le titre Peau noire, masques blancs s’était insurgé contre Mayotte Capécia, auteure martiniquaise, qui dans son ouvrage Je suis Martiniquaise a proclamé sa haine de l’homme noir auquel elle préférait « un blond avec des yeux bleus ». Selon le Dr Fanon « c’est vers la lactification que tend Mayotte. Car enfin il faut blanchir la race : cela, toutes les Martiniquaises le savent, le disent, le répètent ».

Ce qu’il faut retenir au bout du compte, c’est que l’ancrage de ce genre d’expressions dans nos habitudes est source de profonds malaises qui n’avantagent ni les uns ni les autres.
Il est à l’origine de manigances de la part de certains noirs(es) qui usent de moyens douteux pour s’unir à leur partenaire blanc(che), engendrant des relations calamiteuses, renforçant la crise de confiance déjà existante et entrainant la stagnation des mentalités ainsi que la survie des préjugés sur les noirs.
Aussi maintien t-il les noirs dans cette idéalisation du mode de vie occidental, ce qui a sans nul doute des conséquences aux niveaux psychologique (cas de Mayotte Capécia), sociologique (phénomène de blanchiment de peau) et démographique (multiplication du nombre de candidats à l’immigration clandestine dont on connaît les suites).
Enfin et surtout, il reflète une sorte d’auto-racisme ou d’ethnomasochisme qui vulnérabilise à bien des égards notre communauté.

 


Pour l’amour du gang

A Kinshasa sévit un nouveau phénomène (peut-être pas si nouveau que ça, mais moi je viens de le découvrir, du coup…). Il s’agit du port de signes ostensibles d’appartenance à des gangs. Suivez plutôt.

Le trajet des filles

Zola avait toujours été une fille sans histoires, un peu trop réservée même. Pour une raison ou une autre, ses quelques années scolaires n’ont pas été fructueuses, c’est pourquoi sur les insistances de sa grand mère chez qui elle habitait, elle avait commencé un apprentissage en coiffure à l’atelier de sa grande tante à Ndjili, quartier situé à l’Est de Kinshasa.

Au début de la formation, sa tante ne cessait de s’émerveiller face à son aptitude à modeler et sublimer les cheveux des clientes et ne ratait aucune occasion pour expliquer à ces dernières les liens de parenté qui la lient à elle.
A cause de la grande distance qui sépare Ndjili de son quartier, Zola devait traverser la ville en aller et retour pendant les six jours de la semaine où elle était de service. Ce trajet, elle le faisait accompagnée de deux de ses collègues d’atelier, Merveille et Elikya qui étaient aussi ses voisines de quartier.
Le lien entre les filles s’étroitisait au fil des trajets et des confidences ne tardèrent pas à se faire entre le trio. Confidences parmi lesquelles la relation naissante entre Zola et un surnommé Malembé, cousin lointain de Merveille qui lui avait été présenté quelques jours auparavant.
La polémique qu’engendrait cette relation n’était pas vraiment liée à sa précipitation, puisque Merveille n’était pas la mieux placée pour porter un quelconque jugement sur sa copine, elle même n’étant pas réputée être une sainte.
Le hic concernait plutôt la réputation plus qu’inquiétante du sieur Malembé, grand seigneur de Mabégang, l’un des gangs les plus connus de la ville pour sa violence.

Les cicatrices kinoises

En effet, Kinshasa a vu se développer ces dernières années un phénomène qui jusque là était principalement vécu aux États-Unis, en Amérique latine (Brésil, Mexique…) et dans bien d’autres villes d’Afrique. Il y en avait certes quelques bribes ça et là dans des recoins de la ville et puis la situation belliqueuse dans laquelle se trouve le pays depuis tant d’années n’a fait que favoriser cette situation. Depuis peu, les adhérents aux gangs se font de plus en plus nombreux et surtout de plus en plus jeunes.

Pour une certaine catégorie de jeunes, appartenir à un gang est aujourd’hui un phénomène de mode et porter les marques de cette appartenance, c’est le summum de la branchitude.
Les gangsters sont connus pour être adeptes aux modifications corporelles  en général et plus particulièrement aux tatouages (loin de moi l’idée de leur attribuer l’exclusivité de cette pratique 😉 ). Triangles, larmes creuses ou pleines, toiles d’araignées, couronnes, horloges, lettres de l’alphabet sont quelques uns des symboles fréquemment tatoués et qui ont pour eux leurs significations respectives.
Les membres des gangs kinois pour leur part se distinguent par ce qu’ils appellent en argot « Dorko« , qui veut dire « cicatrices« .
Ces Dorko, ils les arborent avec beaucoup de fierté malgré l’aspect inesthétique de la chose; Malembé ne fait bien évidemment pas entorse à la règle. Front, joues, nez, menton, toute la surface de son dur visage est peuplée de balafres de toutes tailles. L’on en vient à se demander ce qui en ce visage entrecoupé doublé de cette personnalité macabre attirent la belle Zola. La question restera posée… En dehors de son visage, aucune parcelle de sa peau luisante n’est épargnée, témoignant de son implication dans les divers combats menés par le gang, chaque cicatrice étant le signe d’un coup de machette, de couteau ou de lame reçu lors d’un affrontement.

Contrairement aux prisonniers de la colonie pénitentiaire de Franz Kafka qui eux n’avaient d’autre choix que d’accepter l’inscription dans la chair de leurs crimes par la fameuse machine de mort, c’est volontiers que les jeunes gangsters kinois acceptent les entailles qui leur sont faites sur le corps lors des combats, les cicatrices étant une partie de leur butin de guerre.

L’antre de la bande

Les mauvaises compagnies corrompent les bonnes moeurs, c’est connu. Comme il fallait s’y attendre, Zola est passée de la demoiselle sans histoires au bras droit du chef du tristement célèbre Mabégang.
Plus les jours passent et plus Lala comme la surnomme toute la maisonnée devient méconnaissable, tant physiquement que comportementalement. C’est presque comme si chaque jour, une nouvelle balafre naissait sur son visage. Ce qui la rend de moins en moins agréable à regarder.
Mais elle s’en fout Lala. Chacune de ces traces sur son visage est signe non seulement de son amour passionnel et de sa loyauté sans faille pour Bébé (diminutif qu’elle seule était autorisée à employer pour nommer Malembé), mais aussi de son appartenance à cette « famille » avec qui elle passe désormais le plus clair de son temps, bien sûr au détriment de son apprentissage au futur pourtant prometteur et de son amitié à peine naissante avec Merveille et Elikya.

En effet, la seconde résidence ou plutôt devrait-on dire la résidence principale de la jeune fille se trouve désormais dans les tréfonds de Kimbangu, l’un des quartiers les plus chauds de la capitale où elle partage avec une dizaine de jeunes filles et hommes âgés de 11 à 26 ans, un espace qui était entre-temps le séjour d’une maison visiblement abandonnée depuis un bail, vu l’état de délabrement et d’insalubrité dans lequel se trouve la construction.

S’étant volontairement mis en quarantaine, ce groupe de jeunes vit principalement des recettes de ce qu’ils appellent « les opérations », c’est à dire en termes plus clairs les vols, braquages, escroqueries, recels, et autres delits imaginables qu’ils effectuent la plus part du temps au moment où la ville est endormie. Le reste du temps, ils louent leurs « services » aux tenants des nombreux règlements de comptes qui rythment le quotidien des quartiers avoisinants.

Visages extrêmement excités par les tonnes de stupéfiants quotidiennement ingérés ou au contraire assombris par la faim, rassemblés la plus grande partie de la journée en petits groupes autour de jeux de cartes ou élaborant les plans des futures « opérations » nocturnes, ces jeunes semblent perdus dans le temps. Gisant entre bien et mal, confinés dans les méandres de la violence, et n’ayant pour seul repère que le hasard.


Ma playlist afro : lire la notice et ses recommandations

Juste le temps d’un instant, je m’improvise médecin ou thérapeute (peu importe, lol). Toujours est-il que je veux partager avec vous une partie de ma « playlist afro » que je nomme ainsi parce qu’elle est composée d’albums et de chansons qui puisent leurs sources en Afrique. Ladite playlist est présentée sous forme de notice : plusieurs étapes à suivre et un « mode d’emploi ».

-Veuillez lire attentivement l’intégralité de la notice avant d’écouter cette playlist.
-Gardez cette notice, vous pourriez avoir besoin de la relire !
-N’ayez aucun doute, cette playlist peut être écoutée par tous, sans aucun risque d’allergies.
-En cas de symptômes identiques aux vôtres, n’hésitez pas à donner cette playlist à la personne concernée.

IDENTIFICATION DE LA PLAYLIST
Composition

Asa

Auteure, chanteuse et compositrice, elle occupe une place de choix dans ma playlist.
Cette jeune nigérianne est un prodige de la musique africaine.
Vous écoutez une seule de ses chansons et je vous promets que vous êtes parti pour dévorer tous ses albums. Sa musique est un mélange de Soul, Folk et de Jazz.
Munie de sa guitare, Asa est une voix qui vaporise de la douceur. Une voix qui se situe au juste milieu entre le grave et le mielleux et qui a le don à la fois d’apaiser et d’inspirer.

Ibeyi

De part leur nationalité franco-venezueliano-cubaine, les ibeyi semblent de prime abord n’avoir aucun lien avec l’Afrique (mis à part leur nom de scène qui signifie « jumelles » en yoruba, langue benino-nigerianne, importée à Cuba par les anciens esclaves). Faites le tour de quelques uns de leurs singles et vous vous rendrez vite compte de l’omniprésence des racines africaines et yoruba plus particulièrement.
Naviguant entre le Soul, le Rnb et l’électro, elles chantent en anglais et en yoruba. Ibeyi, c’est la limpidité dans la voix et la clarté, ce sont des visuels artistiques parfois psychédéliques, c’est la fraîcheur et c’est parfois l’invocation de divinités afro-américaines telles Oshun et Oya.

Solange Knowles

Chanteuse, actrice, productrice et mannequin afro-américaine, la discographie de Solange est caractérisée par un attachement aux racines africaines et à la cause de la communauté noire américaine.
Avec une pureté, une l’élégance et une légèreté qu’on serait tenté de qualifier d’aériennes, elle manie à tour de rôle le Rnb, la Soul et la Pop. Ce que Solange fait, c’est tout simplement de l’art, et cela se perçoit aussi dans la réalisation de ses vidéos. Tout cela, pour le plus grand bonheur de ses nombreux fans (dont moi au premier rang bien sûr 😋).

Y’akoto

Cette jeune germano-ghanéenne (à la voix quelque peu mélancolique mais non moins agréable) fait de la musique Soul.
Son africanité s’entend à pleine oreille dans chacune de ses chansons et le style parfois rétro qu’elle adopte, apporte une touche d’authenticité à sa musique.
Dans ses vidéo clips, parfois réalisées en Afrique, Y’akoto s’amuse, danse et fait danser. Toute sa créativité éclos à travers des scénarios et chorés dignes d’être qualifiés d’oeuvres d’art.

« Kuliko Jana » Sauti Sol

Cette chanson Gospel a été pour moi un énorme coup de coeur. Ses auteurs, le groupe Sauti Sol, réunit quatre jeunes kenyans qui composent principalement dans leur magnifique langue, le swahili.
Le morceau est teinté d’une sensibilité et d’une précision extraordinaires. Attention à la chair de poule lorsque vous l’écouterez!
Adepte de Jésus ou pas, religieux ou non, impossible de rester insensible à la dimension spirituelle de cette chanson.
C’est donc à juste titre qu’ils font partie de cette playlist.

Angélique Kidjo

L’oeuvre de cette sommité de la musique béninoise est une source inépuisable d’africanité. Allant de l’Afrobeat à la World music, en passant par le Gospel, le Reggae et bien d’autres styles, sa musique est une véritable nourriture pour les âmes en recherche d’inspiration ou de connexion. Elle chante en fon (langue béninoise) en yoruba (langue bénino-nigérianne) et parfois en français et en anglais. La dimension artistique de son oeuvre se ressent dans sa voix à la fois suave et forte, dans ses vidéos et dans les thèmes qu’elle aborde de manière très décomplexée et avec une grande ouverture d’esprit. Un vrai régal.

Fela Kuti 

Fela Anikulapo Kuti
est celui qui apporte à cette playlist une touche d’engagement.
Il invente l’Afrobeat à partir d’un savant mélange de Jazz, de Soul, de Ju-Ju (musique populaire nigériane dérivée de percussions yoruba) et de Highlife. C’est l’arme avec laquelle il a dénoncé de son vivant les nombreuses bavures commises par les autorités politiques et militaires nigérianes de l’époque. Les titres comme « beasts of no nation », « coffin for head of state », et « army » témoignent de l’étendue de son engagement.
Ses textes composés en pidgin (l’anglais de rue) ont la particularité d’être crus et parfois violents; mais le saxophone, la clarinette, le tambour et la guitare, qui sont ses instruments de prédilection, apportent à sa musique une chaleur qui la rend festive.

Lokwa Kanza

Grand maître incontesté de son art, il insuffle à sa musique une simplicité et une sagesse sans doute africaines.
Lingala, Swahili, anglais, français et guitare sont les principaux ingrédients qui composent ses recettes musicales, dont on ne peut que raffoler.
Lokwa porte dans sa voix l’empreinte de son Congo natal et de l’Afrique toute entière.

Dans quels cas écouter cette playlist ?
Elle est indiquée en cas de pannes d’inspiration, de coup de blues, de désir de relaxation ou de méditation, de stress ou de crises d’angoisse, ou encore de manque de concentration.

Dans quel cas ne pas écouter cette playlist ?
Elle ne comporte à priori aucune contre-indication.
S’abstenir tout de même de l’écouter en cas l’intolérance sévère à la mélanine et à la splendeur de l’art africain.

Précautions d’emploi
Cette playlist est réservée à tous ceux qui ont le sens artistique nécessaire à l’appréciation de bonnes musiques (lol).

Interactions musicales
Des interactions entre cette playlist et d’autres ne sont pas à craindre. Du moins tant que vous avez l’ouverture d’esprit et l’objectivité d’apprécier « La Musique » indépendamment de la couleur de peau, de l’appartenance religieuse, du genre ou de l’orientation sexuelle des auteurs.

Grossesse -Allaitement
L’écoute de cette playlist est totalement envisageable, conseillée et même encouragée au cours de la grossesse, quel qu’en soit le terme. Il n’est jamais trop tôt pour inculquer à nos petits bouts de chou le goût des bonnes choses ! 😉

Excipients dont la connaissance est nécessaire pour une écoute sans risque chez certains mélomanes
Cette playlist contient une dose élevée d’art à l’état pur et de spiritualité.

COMMENT ECOUTER CETTE PLAYLIST
Posologie

À écouter dès que les symptômes précités apparaissent, ou tout simplement pour se ressourcer… écoute indispensable dès que le besoin de s’inspirer ou de rester connecté à l’Afrique se fera sentir.

Mode et voie d’administration
Voie auriculaire.
Un petit conseil : les albums et chansons composant cette playlist sont à écouter de préférence avec des écouteurs pour une expérience plus personnelle et plus intime de la musique. 🙂
🚨Attention tout de même à éviter les écoutes prolongées à fort volume au risque de provoquer des troubles auditifs irréversibles.🚨

Conduite à tenir en cas de surdosage
Eh bien souriez! Cette playlist est À ÉCOUTER SANS MODÉRATION.
Il n’y a ni risques de surdosage, ni effets indésirables, et encore moins de limitation de date !

Faites vous donc plaisir et dites m’en des nouvelles. 🙂