Afi Affoya

Alex Ganglo, le « Monsieur cuir » franco-béninois

La relation qu’entretient Alex Ganglo avec le cuir ne date pas d’hier. Dès son jeune âge, il customisait avec du cuir les bijoux qu’il recevait en cadeau parce qu’il les trouvait alors trop simples. Lorsqu’il a fallu se mettre à l’art et au design, le choix de cette matière lui est donc apparu comme l’évidence même.
La démarche artistique de cet artiste parisien porte en elle une ambivalence incarnée d’un côté par son africanité et d’un autre par l’empreinte occidental.
Ses œuvres sont faites d’un polissage raffiné, d’un savoir faire évident et d’une sobre originalité.

Des visages et des masques

Que l’on ait toujours résidé en Afrique, que l’on y ait grandi, que l’on y soit simplement né ou que l’on l’ait découverte au cours de sa vie, le lien qui vous lie à ce continent, vous le ressentez avec une intensité plus ou moins forte à un moment où un autre de votre existence. Il faut dire qu’il ressemble à un cordon bien robuste auquel peu d’afro-descendants échappent.

« J’ai connu l’Afrique tardivement, après mes 18ans », dit-il avec un pincement au cœur.
C’est peut-être pour cela qu’une fois le retour tant désiré aux sources effectué, Alex Ganglo n’a plus voulu se séparer de ses racines. Le seul moyen d’y rester attaché fût peut-être d’emporter avec lui un bout de chaque pays à travers les magnifiques masques qui font aujourd’hui partie intégrante de son parcours d’artiste.
Certains de ces masques (ceux de sa collection privée) ont pour lui une valeur spirituelle certaine; et en Afrique, les esprits font partie de ces choses que l’on ne monnaie pas. Il y a aussi des masques que l’artiste met en vente, ces derniers sont souvent exposés ou confectionnés sur commande.

« Les masques de la collection privée d’Alexandre Ganglo ne sont pas à vendre, Il ne vend pas ses esprits ».

Fang (Cameroun), Dan Bassa (Côte d’ivoire), Léga, Luba, Pendé, Fan-Iké, Songye (RDC), Ponou (Gabon), Dogon (Mali), Yoruba, Idona (Nigéria)… Il fait régulièrement le tour de ces contrées et y recueille leurs masques, leurs visages, leurs histoires. Au fil des voyages, ces gens sont devenus la famille de l’artiste à travers l’Afrique.

www.ganglo.com

Sur le site de Ganglo, il n’est pas question que de masques. L’artiste a plusieurs cordes à son arc et la base ici, c’est encore et toujours le cuir. Il s’invite à dans toutes ses créations, mais sous des formes joliment variées.
Tableaux, accessoires, blousons et vélos en sont revêtus avec une précision et une finition puristes.

Ce qui attire l’attention parmi le lot d’articles que confectionne Alex Ganglo, ce sont certainement les vélos customisés au cuir. Chacun d’eux est un modèle unique, fruit d’un travail laborieux et chronophage. Ils sont « entièrement gainés, jointés et collés à la colle extra forte vinylique puis cousues à la main » et sont tout simplement beaux.
Ils font partie de ces objets dont la mateur et la simplicité inspirent sans difficulté aucune le luxe. On a d’ailleurs autant envie de les accrocher dans son salon que de les pédaler dans la rue.

Les bombers ganglo sont des pièces phares de sa collection de blousons. Ils sont confectionnés en cuirs noirs essentiellement, mais peuvent prendre diverses couleurs selon les commandes de la clientèle. Taillés dans des modèles épurés et dotés d’une fermeture éclair aux mailles particulièrement grosses, ils lui ont valu d’importantes collaborations dont celle avec la Maison VENTCOUVERT.
Au-delà des classiques androgynes, ces modèles sont déclinés en slyles divers de telle sorte que femmes et hommes puissent séparément s’y retrouver.
Quand aux accessoires, les plus connus sont les pochettes « coup de poing » qui tiennent leur nom des 4 fentes accrochés à la partie arrière et qui permettent de les porter à la manière d’une bague.

 

Le spirituel, le style et le design laissent à présent place à l’émotivité. Ce sont les tableaux qui portent ce côté plus intime de l’artiste.
Le cuir est bien entendu encore présent. Il représente cette fois-ci un support sur lequel les états d’âmes d’ Alex Ganglo se matérialisent par le biais de la peinture. Les formes sonts parfois indéchiffrables de part leur abstraction mais parfaitement identifiables à cause des couleurs. Un doux régal pour les yeux.

 

Une expo-vente dont les dates et le lieu exacts seront communiqués via ses réseaux sociaux est prévue pour Mai 2018. Soyez donc à l’écoute si vous êtes à Paris ou dans les environs. De belles choses sont prévues pour l’occasion 😉 .


Médecine traditionnelle africaine: un secteur à ressusciter

La population africaine avant l’esclavage est estimée à plus de 800 millions, et après l’esclavage elle avoisinnait les 250 millions. Vous conviendrez avec moi que pour qu’une population atteigne 800 millions il faut qu’elle bénéficie d’une situation sanitaire assez solide.

La question est de savoir la nature du système sanitaire dont bénéficiaient nos ancêtres. On ne me dira pas qu’ils se soignaient au Paracétamol et à l’Aspirine. J’en douterai très fort. D’autant plus que des produits comme la Lomidine, administrés de force pendant la colonisation aux populations dans le prétendu but de les guérir de la « maladie du sommeil » a plus servi à les exterminer qu’autre chose.
Quoi qu’il en soit, il est clair que les recettes utilisées ont été efficaces, au point d’avoir pu maintenir en vie et en bonne santé des millions de personnes, dont des hommes et femmes plus tard jugés assez robustes pour être déportés sur des terres étrangères afin de mettre malgré eux leur robustesse au service du développement de leurs oppresseurs.

Médecine traditionnelle et savoir-faire africain

Tradipraticien (Wikimedia Commons)

Je me rappelle avoir vu tout au long de mon enfance, mon grand père paternel se soigner à l’aide de plantes qu’il ramenait avec lui lors de ses visites et avec lesquelles il concoctait ses décoctions. Je ne saurai malheureusement nommer les plantes en question, je regrette que mon jeune âge à l’époque m’ait empêché d’y accorder l’importance qu’il fallait.
Il est évident que par les plantes, les fruits, les racines et écorces, l’Afrique détient un savoir faire en matière de santé. La nécessité de se tourner vers les garants et détenteurs de ce savoir afin de le valoriser, d’en moderniser les aspects qui mériteraient de l’être et d’en tirer le plus grand bénéfice n’est plus à démontrer.
Étant tous ou presque conscients de ce fait, je me pose les questions suivantes : Pourquoi rien n’est fait dans ce sens? Pourquoi ce domaine pourtant économiquement vital est-il tant négligé? Et pourquoi le domaine de la recherche en général est aussi peu estimé chez nous?
La réponse m’a semblée évidente lorsqu’il y a quelques jours j’ai suivi une publication dans laquelle des médecins congolais se plaignaient d’avoir été empêchés par des responsables de firmes pharmaceutiques d’informer le public  sur les résultats d’une étude menée sur une tisane (Artémisia) dont les vertus antipaludéennes sont jusqu’alors inégalées. Rappelons que le paludisme encore appelé malaria est l’une des maladies les plus meurtrières en Afrique et que certains médicaments importés ont montré leurs limites et même pour certains comme le Lariam, leur caractère nuisible en la matière.
On est donc en droit de se questionner sur les raisons valables qui ont poussé les autorités sanitaires à empêcher la poursuite et la divulgation des recherches sur cette tisane en RDC, une situation d’ailleurs fréquente en matière de découverte de médicaments révolutionnaires en Afrique.Voici donc le topo : On commence par faire de l’Afrique une poubelle à médicaments contrefaits qui tuent à petit feu les populations puis on empêche ces mêmes populations de fabriquer leurs propres médicaments.
Après analyse des faits, la conclusion est celle-ci. Il s’agit d’abord de l’expression de la corruption des autorités sanitaires des différents pays africains abritants ces découvertes et ensuite de l’impitoyable politique capitaliste des institutions internationales dites dédiées à la santé mais dont le soucis premier s’avère être le gain financier généré sur le dos de pauvres patients.

Exemples en matière de valorisation de la médecine traditionnelle africaine

Plantes médicinales (Pixabay creative commons)

Ils sont rares en Afrique, ces pays qui prévoient une place pour la médecine traditionnelle. Ce manquement constitue une brèche par laquelle beaucoup d’imposteurs et de malfrats se déguisent en tradipraticiens et infiltrent le domaine puis le décrédibilisent à travers leurs diverses exactions. Ils y jettent ainsi une couche supplémentaire de suspicion et de méfiance.
Mais sonnez trompettes, battez tambours!!! Il existe bien quelques pays qui à travers leur politique ou leur culture ont accordé à cette médecine trop souvent diabolisée une place de choix. Il s’agit entre autres du Bénin et du Ghana.

En Afrique, contrairement aux sociétés occidentales, la pharmacopée tradidionnelle est presque systématiquement consultée avant la pharmacie moderne. Ce fait est peut être dû aux coûts relativement abordables des médicaments traditionnels et à leur accessibilité.
Le Bénin fait partie de ces pays où le premier réflexe qu’on a lorsqu’on sent un malaise est de se diriger vers les plantes environnantes. La population béninoise est d’ailleurs caractérisée par son profond ancrage dans la tradition (il n’y a qu’à observer le code vestimentaire béninois pour en arriver à cette conclusion). Pour cela, les découvertes locales y sont assez souvent promues et vulgarisées. Ce fut l’exemple de l’Api-Bénin du docteur Valentin AGON, spécialiste béninois en médecine verte.
Ensuite, il y a le Ghana où d’énormes progrès ont été effectués ces dernières années en matière de régularisation du statut de la médecine traditionnelle. Les autorités gouvernementales ont en effet mis en place un cadre politique permettant aux tradipraticiens d’exercer leur métier dans des limites et des conditions bien définies. Ils ont ainsi favorisé l’épanouissement et encouragé l’innovation au sein du secteur.

La médecine traditionnelle fait partie intégrante de l’identité socio-culturelle africaine. Contrairement à la Chine qui en a fait un tremplin mondialement reconnu et qui en tire d’importants bénéfices financiers, le domaine a longtemps été marginalisé sous nos cieux. Il est temps qu’il soit repensé et que l’attention qui lui est due lui soit accordée.
On ne le dira jamais assez, l’Afrique a un besoin impératif de sortir de ce schéma de pensée aliénant qui consiste à diaboliser, à sous estimer et à fouler du pied les réalisations locales car elles sont censées représenter sur l’échiquier mondial la productivité et l’authenticité qui nous caractérisent.


Les recettes culinaires africaines et leurs ramifications familiales

Entre africains vivants à l’étranger, il y a des projets qui se taisent. Certaines règles sont tacites et bien connues de tous. Malheur à qui décide de l’outrepasser, il se verrait exposé aux conséquences de sa désobéissance ! Bon j’exagère peut-être un peu 😀 .
Parmi les projets dont il est question ici, il y a celui de partir en vacances en Afrique. 
Lorsque vous commettez la grosse erreur de faire part à des amis ou connaissances de votre projet de voyage vers l’Afrique (que ce soit pour les vacances ou pour une quelconque autre raison), soyez sûr de voir débouler sur vous une avalanche de commandes et de requêtes… « Tu me ramènes du piment noir s’il te plaît? », « ma couturière m’a confectionné quelques tenues en wax, tu me les ramène s’il te plait ? » ou encore « je demanderai à ma tante de te donner quelques boules d’atiéké pour moi » et ainsi de suite.

C’est ainsi qu’il y a quelques jours, j’ai reçu la visite d’une amie qui revenait de vacances du Togo. Ah mon beau Togo! Ses belles plages ensoleillées, sa généreuse et excellente cuisine, ses marchés bruyants et noirs de monde, ses rues éclatantes de vie et de couleurs…
Malgré elle – et surtout sur mon insistance, je l’avoue – elle a due embarquer avec elle quelques kilos d’ingrédients que ma mère, en bonne maman africaine, a soigneusement sélectionné pour moi. Parmi ce savoureux lot se trouve tout ce qu’il me faut pour concocter ma sauce préférée, « Adémè », autrement nommée « Corète potagère ». 
En bonne amie (et surtout pour déculpabiliser), il a fallu que je me mette aux fourneaux pour lui faire goutter ma fameuse sauce.
Et voilà comment m’est apparue une évidence : il existe en Afrique, pour un même plat, autant de recettes que de familles.

Ingrédients sauce Adémè par Afrique.fr
Ingrédients sauce Adémè/ Crédit: Afrique.fr

Prenons l’exemple de la sauce d' »Adémè ». Pour moi  -et selon ce qui m’a été appris par ma mère- cette sauce se prépare toujours en deux étapes. La première consiste à faire bouillir les feuilles afin d’obtenir la matière gluante qui est la base de notre recette (défense de faire « berk »! C’est gluant mais c’est très bon 😀 ). Dans la seconde étape, il faut réaliser un bouillon assaisonné d’épices, de l’incontournable piment vert, d’huile rouge (huile de palme) de poissons fumés, de viandes et de fruits de mer de toutes sortes (crabes et crevettes le plus souvent). C’est seulement après ces deux étapes cuisinées séparément qu’on procède au mélange final des deux préparations, et, à partir de là, la fameuse sauce peut être servie accompagnée bien sûr d’une gigantesque et homogène pâte de farine de maïs. Vous voilà prêts à atteindre un paradis gustatif fait d’umami et de senteurs indescriptibles 😉 ).

Vu mon degré inhabituel d’application à la tâche, je ne m’attendais pas à ce que mon amie puisse soulever quelque contestation que ce soit contre ma méthode en deux étapes, qu’elle trouvait « franchement trop longue », mais ce fut le cas. Elle m’expliqua que chez elle, c’est à dire dans sa famille, cette sauce a toujours été préparée avec des feuilles de corètes préalablement découpées et bouillies avec du bicarbonate pour faciliter leur ramollissement. Ensuite, les ingrédients cités plus haut sont successivement incorporés dans la sauce et laissés au feu pendant quelques minutes supplémentaires, le temps que les senteurs et les goûts s’entremêlent. J’ai donc un peu plus tard entrepris quelques recherches sur des sites spécialisés en cuisine africaine où je découvris bien d’autres recettes de ladite sauce.

Plat de pâte de maïs et sauce Adémè/ Crédit: Africa colours

A la base de la cuisine africaine, on trouve les ethnies, ce sont elles qui sont aux racines des différentes recettes existantes. Celles-ci sont détentrices d’habitudes culinaires ancestrales et spécifiques qui se retrouvent ramifiées à travers les cellules familiales qui y ajoutent chacune leurs touches, d’où la diversité des recettes.
Ce qu’il faut donc retenir, c’est que l’art culinaire africain est incroyablement éclectique, très varié, et cela n’est guère étonnant puisqu’il est à l’image de sa population, de ses ethnies et de ses langues.

Adémè, Atiéké, Dokonu, Ndolè, Fumbu… Existe-t-il chez vous également de ces plats aux mille et une recettes? Si oui, sentez-vous libre de les partager avec nous. 🙂


Gros plan sur la « culture telenovelas » en Afrique

Il est 20h30, l’heure à laquelle les ruelles d’Agbalépédogan (1) se desertent. Seule la rue principale avec ses deux rangées de lampadaires dessinant sur le sol des silhouettes longilignes trahit quelques présences humaines. Présences sans aucun doute masculines, la majeure partie de la gente féminine s’attelant à une autre occupation. L’indifférence suscitée par les trente minutes réservées au JT de 20h (journal télévisé) et à sa charmante présentatrice laisse place à l’effervescence et l’engouement de joyeux téléspectateurs au degré d’excitation comparable à celui d’un écolier, un après-midi de vendredi. Les mets malchanceux du dîner se trouvent parfois abandonnés sur le feu, les devoirs de maison sont au pire laissés en plan et au mieux bâclés dans le feu de l’impatience ; voilà le panorama qui vous sera offert si à l’heure de diffusion des telenovelas, ou feuilletons, comme communément appelés chez moi, vous faites un tour dans un échantillon de foyers loméens, cotonois, ou même abidjanais, bref dans des foyers africains.

Telenovelas, qu’est ce que c’est?

Puisant leur source en Amérique latine ou, du moins, particulièrement ancrées dans les mœurs de ces pays, les telenovelas sont aujourd’hui produites et diffusées dans bon nombre de pays. Dans le présent cas, je m’intéresse aux telenovelas latino-américaines (plus précisément mexicaines et brésiliennes) parce qu’étant les plus populaires en Afrique. Ce sont des feuilletons diffusés en plusieurs épisodes, suivant le fil conducteur d’un scénario basé sur une histoire à l’eau de rose, très souvent inscrite dans un esprit « princesse Disney ». Pour faire plus simple, je décrirai l’ossature d’une telenovela type comme suit:

Une belle jeune femme, inconsciente de son charme, se trouve en difficulté. Pour sortir sa famille, souvent monoparentale, de la galère, elle se retrouve servante d’une riche famille composée de membres aussi espiègles et méchants les uns que les autres, sauf bien sûr un des cadets. Celui-ci rentrera un jour de l’étranger, après avoir terminé ses études, et au premier coup d’œil tombera sous le charme de la jeune belle, douce et aimable servante. De là naîtra une idylle au départ cachée puis révélée à la famille. La mère ayant, dans la plupart des cas, d’autres plans maritaux pour son gamin s’allie à ses filles et une jeune femme considérée comme la belle fille idéale au vu de son rang social. Leur seul but : détruire ladite relation. La princesse n’ayant, de mémoire jamais perdu la guerre, les deux amoureux se retrouveront après une multitude de ruptures causées par divers rebondissements au fil des épisodes. Ils se marieront et vivront heureux jusqu’à la fin des temps./.

On a presque envie de terminer sur cette belle note n’est ce pas? Mais nous allons faire mieux en regardant de près les externalités de cette « culture telenovelas ».

Effets des telenovelas sur leurs adeptes

Quel mal peut causer une innocente histoire romantique, de surcroît racontée par des acteurs pour la plupart très agréables à regarder? A priori aucun, quelques minutes de « rince l’oeil » n’ont jamais fait de mal ;). Ces feuilletons se sont d’ailleurs tellement bien intégrés au quotidien des fans africains qu’ils sont devenus des « must » du divertissement télévisuel.

Je suis tout de même de ceux qui pensent que divertissement et apprentissage peuvent ou doivent aller de paire, surtout dans le contexte de crise éducationnelle et identitaire que nous traversons depuis un moment en Afrique. Le hic, en fait, avec les telenovelas, c’est qu’au delà de leur fonction de divertissement, elles n’offrent rien d’autre au téléspectateur, ce qui est loin d’être arrangeant vu leur ampleur. En plus d’être trop « creuses » pour emmener les téléspectateurs à des réflexions constructives, comme le font certains films, elles sont calquées sur une réalité très lointaine de la réalité africaine. Cela entraîne une distorsion dans la vision que bon nombre d’entre nous avons du mode de vie « occidental », principalement du point de vue relationnel. Nous nous retrouvons ainsi à vouloir transposer dans notre puzzle à nous des pièces pourtant incompatibles. 

Mis à part ce fait, j’aurais personnellement, et avec un peu de recul, souhaité que ces telenovelas aient prévu dans leurs scénarios des répliques qui nous renseignent sur des références historiques ou culturelles des pays producteurs (Mexique, Brésil…), au moins on aurait appris quelque chose pour un tant soit peu combler ce « creux » dont je parlais plus haut. Je n’ai aucune intention de faire l’apologie du cinéma hollywoodien, qui est loin de refléter lui aussi une quelconque réalité africaine mais qui inonde nos écrans presqu’autant que les telenovelas. J’avouerai tout de même que ma balance pencherait vers une production cinématographique qui m’apprend avec subtilité, si je fais l’effort de lire entre les lignes de l’existence de personnalités telles que Maya Angelou (2) et Marcus Garvey (3), ou une production qui m’informe sur le contexte socio-politique du racisme anti-Noirs en Amérique ou encore sur l’impact qu’ont eu des films comme « Thelma et Louise »(4) sur la conception américaine du féminisme.

Le fait pour les chaînes de télévisions africaines d’opter pour la diffusion de feuilletons latino-américains et maintenant de plus en plus indiens (il fallait que cette précision soit faite) relève visiblement d’un manque de volonté d’investir dans un cinéma africain, pourtant plus représentatif de nos réalités et de notre mode de vie. Ce cinéma aurait une rentabilité pour plusieurs acteurs de la société. Il est donc assez plaisant de noter la présence de plus en plus importante de telenovelas nigérianes et angolaises sur la scène cinématographique, tant elles reflètent le plus possible les réalités africaines.

1- Agbalépédogan: Quartier de Lomé (Togo).

2- Maya Angelou: De son vrai nom Marguerite Johnson, est une poétesse, écrivaine, actrice et militante américaine. Figure importante du mouvement américain pour les droits civiques et figure emblématique de la vie artistique et politique aux Etats-Unis.

3- Marcus Mosiah Garvey: Est un militant noir, précurseur du panafricanisme. Il se fait le chantre de l’union des Noirs du monde entier à travers son journal The Negro World et le promoteur obstiné du retour des descendants des esclaves noirs vers l’Afrique.

4- Telma et Louise: Est un film américain qui raconte l’histoire de deux femmes dont l’excursion d’un week-end se transforme en cavale à travers les Etats-Unis. Il est aujourd’hui considéré comme un classique, a influencé d’autres films et œuvres artistiques, et est devenu un film culte du féminisme.


La dynastie dictatoriale, une version togolisée de la démocratie

« L’Éternel bénisse le Togo
Et de ses enfants les conducteurs.
Togolais fais monter
De partout des clameurs
A la gloire de notre cher Togo
Et célébrer sa beauté :
Forêts, monts, sites enchanteurs,
Fleuves majestueux,
Torrents prestigieux.
Le sol merveilleux
Prodigieux, répand bonheur, fécondité.
Soyez béni ! Togo soyez heureux !
Pays de nos aïeux ! »

La marche républicaine

Combien de fois n’ai-je pas, dans les lignes d’un rang, tapie dans les tissus à carreaux d’une robe aux manches un peu trop larges et dans des souliers douillets à scratch, prononcé non sans difficulté ces paroles qui depuis un moment me reviennent, non seulement avec plus de clarté orthographique, mais surtout avec plus de sens et d’émotion ? Émotion peut-être due au souvenir de mes douces années en cours primaire, ou plutôt à l’élan de patriotisme inévitablement ressenti au son de cette chanson.

J’imagine en ce moment n’être pas la seule Togolaise hantée par la mélodie de la marche républicaine qui, aujourd’hui plus que jamais, a franchi pour certains d’entre nous le stade de comptine et atteint celui d’une ode à la conscience de « Nous ». Nous en tant qu’êtres sociaux ou nous en tant qu’individus nés d’un bout de terre, le notre, et à qui nous nous sentons liés par un cordon invisible mais non moins robuste. Nous en tant que citoyens.

Qu’attend une mère, ou mieux, que doit l’enfant à celle qui l’a fait et vu naître, celle qui lui a offert l’hospitalité, l’éducation et le soin nécessaires à son développement physique, mental, spirituel ? Nos pensées se tournent naturellement et à raison vers la gratitude, le dévouement, le respect et une kyrielle de bons sentiments.

C’est ainsi qu’il y a quelques jours et pour une énième fois, des milliers de fils et filles du Togo se sont mobilisés et continuent de se mobiliser dans le but ultime de donner à la terre mère la dignité et l’agréabilité qui sont sensées la caractériser.

Ce n’est pas une tendance collective au suicide qui a poussé les Togolais hors de leurs domiciles les 6 et 7 septembre dernier.

C’est encore moins pour remédier à une carence en vitamine D qu’ils ont décidé d’affronter les rayons du chaud soleil tropical pendant ces deux jours, sans oublier les nombreux jours de manifestations précédents (19 août, avril 2013, etc).

Cette démonstration de hargne que l’on a largement qualifiée de jamais vue et dont nous avons été témoins n’est que l’expression d’un ras-le-bol n’ayant que trop longtemps été refoulé. Ras-le-bol d’une situation rigidement homéostatique dans laquelle « le grain du pauvre continue de nourrir la vache du riche »(1).

Les « con-ducteurs »

Comment bénir des « con-ducteurs » qui par eux-mêmes ou par une quelconque intervention divine (whatever (2) ) ont publiquement reconnu le parasitisme dont ils sont orchestrateurs et qui gangrène ceux qu’ils sont censés conduire ?

Ventres affamés, lèvres bâillonnées, avenir incertain, jeunesse délaissée peuvent-ils clamer avec sincérité une fierté pourtant légitime d’appartenir à une terre qui a, disons-le, tout pour plaire ?

Même si pour l’heure, le bonheur et la fécondité nous semblent encore lointains, du moins autant que les illustrations fabuleuses d’un paradis dont seuls les dessinateurs du Watchtower(3) ont le secret, motivation et détermination nous sont insufflées par la conscience que nous avons de la finalité de cette lutte : affirmer notre confiance en nous en tant que peuple, faire entendre notre voix au-delà des frontières et faire encore une fois frémir les pieds déjà chancelants d’un sofa dynastico-dictatorial établi au sommet de notre pays depuis maintenant plus d’un demi-siècle.

(1) « Le grain du pauvre continue de nourrir la vache du riche », citation de Thomas Sankara

(2) Whatever : Peu importe.

(3) Watchtower : La Tour de garde. Revue internationale créée et distribuée par les témoins de Jehovah.