Afi Affoya

Vulnérâmes, la poésie musicale d’Antonya David-Prince

Vulnérâmes, 1er album d’Antonya David-Prince est disponible sur :

*Bandcamp* https://bit.ly/2PMwBJi
*Itunes* https://apple.co/2PFE9gV

 

Vulnérâmes, une ôde à la sensibilité

Lorsqu’il a fallu écrire sur le projet musical d’Antonya David-Prince, je ne me suis pas sentie à la hauteur.
J’ai écouté et réécouté chaque morceau, chaque portion, chaque phrase. J’ai tourné et retourné dans ma tête le sens les mots afin de comprendre ce qu’ils pouvaient couver.
Comment retranscrire autant d’émotions, comment rester entièrement fidèle à chacun des morceaux d’âme qu’Antonya a mis à nue dans ses textes. Pas facile.

Mais je ne pouvais m’abstenir de m’exprimer.
Tout simplement parce que l’infinité de sensations que j’ai eue en écoutant cet album ne me laisse pas d’autres choix que de le conter.
Parce que de « Respire » à « Sade », de « Fastlove » à « Solo » en passant par « Voleur de secondes », « Saudade » et « Acte manqué », Antonya offre plus qu’un voyage lyrique et sensoriel.

L’une des questions que je lui ai posée est « Pourquoi autant de mélancholie ? »
Elle ma répondu qu’il ne s’agissait pas de mélancholie mais de Saudade.
« La saudade c’est un morceau de Cesaria Evora et un style musical capverdien. Dans la mélancholie il ya un aspect dépressif, mais la Saudade c’est de la nostalgie, c’est se rappeler comment c’était mieux avant, c’est exprimer son envie de vouloir être ailleurs que dans le dans le présent… »

Antonya insuffle de la vie dans ces mots morts en nous, ces mots qui nous sont pour la plupart restés en travers de la gorge ou tout simplement enterrés dans le sombre de nos entrailles.

J’ai toujours pensé qu’il existe de ces êtres qui pour une raison que j’ignore sont infiniment plus sensibles que la moyenne. Sensibles à la douleur, sensibles à l’amour, sensibles au monde et aux maux qui les entourent.
Elle m’a dit être une personne réservée, elle m’a dit avoir l’habitude de discuter de longs moments avec elle même et d’avoir cultivé un monde intérieur assez vaste.
Vulnérâmes est-il donc peut-être ce côté extérieur qu’elle a décidé d’explorer? Faire découvrir à tous ce fameux monde intérieur, c’est peut-être là le but de cet album.
Elle m’a dit qu’il était pour elle cathartique, je la crois. Puisque pouvoir mettre des mots sur nos maux, est le premier signe de guérison.

Des mots pour guérir les maux

Quel courage faut-il à une femme pour s’ouvrir aussi entièrement sur un sujet qui dans nos sociétés est au mieux tabou, et au pire malmené, négligé, déclassé. Celui de la perte d’un enfant.

« Sade est très clairement une lettre à ma fille qui n’est pas encore née. Sade parle de mon désir d’enfant. C’est une envie et un besoin de parler de ce sujet qui est sensible et tabou, qu’on aborde pas beaucoup. Même en ayant écrit dessus, je suis réticente à en parler, à utiliser les mots justes, les mots crus. Mais dans ma vie de femme, j’ai eu une fausse couche et c’est vrai que c’est quelque chose qui m’a traumatisée et qui est assez banalisé. On ne donne pas assez de place à cette perte d’êtres qui ne sont pas encore tout à fait des bébés, la preuve on dit « une fausse couche », on ne dit même pas qu’on a perdu un enfant. C’est une émotion que j’ai ressentie et qui a été le déclencheur qui m’a permis d’écrire ce texte. Ensuite dans le texte, il y a des parties qui dénoncent le fait que dans nos sociétés, on questionne les gens sur la parentalité sans savoir s’ils ont envie ou pas d’être parents, s’ils sont entrain d’essayer d’être parents, s’ils ne peuvent pas être parents etc. Ce sont des questions très intimes qui ne regardent pas tout le monde. Sade c’est l’absence de ma fille qui n’est pas encore née et j’espère qu’il me sera donné un jour d’être mère sinon je ferai autre chose, parce que ce n’est pas une fin en soi…»

Quelle lucidité faut-il pour vocaliser avec justesse les dérives sentimentales auxquelles nous mène notre société qui s’entête à se diriger vers une évolution exponentielle. Tout est question de vitesse, de substitution, de recherche presque maladive d’une facilité qui ne nous offre pourtant que déliquescence et chaos. Fastlove, Mac loving…

« Personnellement, j’ai vécu dans un cocon familial où le couple a une valeur cardinale. Ma mère a connu mon père lorsqu’elle avait 16 ans et elle en aura 70 bientôt. Ils ont bien entendu connu des moments difficiles, mais je crois qu’avant, les couples restaient malgré tout ensemble pour des raisons différentes. On est actuellement dans un contexte socio-culturel différent et surtout dans les grandes capitales, tout va tellement vite. L’amour est une belle énergie qui va au-delà du concept de couple. Je crois que pour rester en couple de nos jours, il faut le décider. De nos jours on a beaucoup plus de mal avec l’engagement et donc décider de rester ensemble, se battre pour s’apporter l’un à l’autre et choisir un destin commun, ça a quelque chose de très féérique pour moi et je le considère comme un acte de foi… Je ne sais pas si c’était mieux avant mais je pense qu’au fond de nous, tout le monde a envie d’être aimé. Je ne sais plus comment j’en suis arrivée à écrire cette chanson, mais de nos jours on prend et on jette, on prend et on jette et ce n’est tellement pas ça l’amour.»

Et quelle sensibilité faut-il pour arriver à l’aide de simples mots à universaliser des expériences personnelles. A rendre commune des portions de vie pourtant si intimes. A parler d’amour, d’absence, de solitude, d’espoir et de peines sans fausse pudeur ni réserve.

L’album qui introduit une discussion

Je souhaite que Vulnérâmes puisse représenter pour nous une perche tendue, une brêche fendue en plein milieu du grand mur des non-dits de nos sociétés. Cet album est le nôtre et devrait pouvoir introduire une conversation aujourd’hui nécessaire entre femmes et hommes, parents et enfants peut-être, puisque selon elle « Si à l’école ou en famille, on nous formait plus au développement personnel,, aux techniques de méditation, à la communication non violente, à l’estime de soi, on éviterait beaucoup de catastrophes amoureuses . »

Antonya David-Prince,
Vulnerâmes,
Asraforecords,
10 Mai 2091.
We are here for this…


ASRAFOBAWU: le vêtement des fiers guerriers by Elom 20ce

Je me rappelle d’une discussion qui remonte à quelques années. J’étais avec un ami de la famille, lorsque l’un des titres d’Elom 20ce passait à la télé. C’était l’époque où je craquais exclusivement pour les âmes d’artistes (en fait ça n’a pas beaucoup changé 😉 ).
Le cerveau de l’ado que j’étais à l’époque avait une compréhension plutôt limitée des paroles du rap que je venais d’écouter, mais j’aimais, tout simplement. Juste à la fin du clip, la personne avec qui j’étais me racontait qu’il avait fait avec lui quelques années de lycée et qu’à la fin de ses études, au lieu de faire une carrière « normale », il s’était obstiné à faire du rap.
Sur le coup j’ai été intriguée par l’histoire mais je n’ai pas cherché à en savoir plus.

Quelques années plus tard, alors que je ne m’y attendais pas du tout, je recroise le chemin d’Elom. Qui soit dit en passant fait officiellement partie du top 5 des personnes avec lesquelles j’adore discuter.
Récemment, il me disait :
« Je serais passé à côté de ma VIE si je n’avais pas pris le risque de faire cette musique, tu comprends,
Je serais passé à côté de ma VIE si je ne prends pas le risque actuel de faire ASRAFOBAWU,
C’est pénible mais je le fais,
Je serais passé à côté de ma VIE si j’avais pas étudié les relations internationales,
On tend tout le temps à opposer les choses,
Moi je vois de la complémentarité,
Je suis une énigme pour ma famille !!!
Mais je sais qu’au fond ils ont juste peur que je me casse la gueule !,
Je dis tout ça facilement aujourd’hui mais crois moi ces dernières années j’ai traversé l’enfer,
car je devais me battre contre plein de prejugés »…

 

ASRAFOBAWU, More than fashion

Le petit détour linguistique ci-après vaut ce qu’il vaut, mais rappelons que chez les Ewe, au Togo, « Asrafo » est le nominatif qui désigne les Guerriers et Gardiens des Traditions. « Awu » veut dire vêtement. ASRAFOBAWU = Armure d’Amazones et de Guerriers, et par extension celle de Reines et de Rois.

Maintenant que le décor est planté, un autre rappel est de rigueur. Ne dites jamais à Elom qu’il fait de la mode, vous et lui vous entendrez alors très bien. D’ailleurs le slogan de la marque est « More than fashion » (Plus que de la mode). Vous comprendrez pourquoi.

Asrafobawu

Deux raisons justifient le fait qu’il insiste autant sur ce détail.
D’abord, il fait une distinction entre l’esprit ASRAFOBAWU et celui de l’industrie de la mode. Cette distinction vient du fait qu’il porte une marque qui va au-delà de l’estéthique, changer un certain regard négatif qui est projeté sur l’Afrique et que certain-e-s africain-e-s ont fini par faire leur.

En effet, La mode permet à celui qui s’en approprie d’exister en tant qu’individu, de s’exprimer entant que personne. En revanche, ceux qui portent ASRAFOBAWU forment consciemment ou non, une communauté qui s’exprime à travers la marque.
Pas une tenue ni un bijou ASRAFOBAWU n’est vide de sens et ceux qui les portent scellent tout simplement leur adhésion à l’idéal de la marque.
Ensuite, la musique d’Elom 20ce est intrinsèquement liée aux diverses collections de la marque. Le plus intéressant, c’est que ce lien n’a pas fait l’objet d’une réflexion consciente de la part de l’artiste. Qu’il s’agisse de mots ou de « tissus », l’engagement et la hargne panafricaniste qui l’anime nourrit naturellement ses œuvres. Les vêtements ne sont donc finalement que le prolongement logique de l’art musical d’Elom 20ce.

 

L’essence de la marque

asrafobawu

Aussi bien Asrafo Records le label d’Elom 20ce, qu’ASRAFOBAWU découlent d’un anticonformisme affirmé, une contestation du système oppresseur et anarchique établi au sein du continent. Cette fibre contestataire se ressent fortement dans le design des vêtements. Une pointe d’insolence, une bonne dose de style et un arrière goût de révolution, voilà la recette gagnante.
Pour la petite histoire, ASRAFOBAWU est née le jour où Elom a décidé de confectionner ses tenues de scènes avec des tissus africains. Des tissus fabriqués en Afrique, par des africains.

Une des raisons qui positionne la marque au delà des sphères ma foi trop robotisés de l’industrie de la mode, c’est l’aspect socio-responsable. Quand on lui pause la question de savoir de qui est constituée son équipe, Elom cite les tisserands, les convoyeurs de produits, les couturiers, les livreurs, etc. En somme, une chaine dont chaque maillon compte. Derrière les produits de la marque, il y a un voyage, une histoire.
Par exemple, Elom raconte que l’idée de la bague est née par hasard, lorsqu’au grand marché de Lomé, il a rencontré un vieux qui lui montrait des symboles africains gravés dans le bronze. Les bogolans utilisés proviennent de Bamako et Ségou au Mali. Ceux qui supervisent la production au Mali sont des personnes rencontrées lors d’un séjour improvisé au pays de Modibo Keita en début d’année.

 

Un choix envers et contre tout

Le tissu africain le plus répandu et le plus accessible reste le Wax. Il aurait été naturel pour Elom de surfer sur la popularité de ce tissu pour en faire l’élément principal d’ASRAFOBAWU. Il n’a pas choisi la facilité en optant pour des tissus moins connus mais plus authentiquement africains, bien au contraire.  Toutefois, au-delà des coûts de productions plus élevés, il est question de faire découvrir l’Afrique à travers des tissus tels le Kenté, le Bogolan, le Tchatchapassao, le Lokpo etc.

Une autre difficulté, peut-être plus subtile mais tout autant réelle, est celle du positionnement des produits de la marque par rapport au public qui pour l’heure n’est pas large. Le message qu’Elom a choisi de faire passer à travers la musique et les vêtements, n’est pas habituel en Afrique. L’acceptation de l’identité africaine, la valorisation de nos richesses, la prise de position au sein du débat panafricaniste sont autant de sujets qui ne sont pour le moment acceptables que pour une nouvelle vague de jeunes « afro-hipsters ».
Aucun détail de l’histoire du colonialisme ne leur échappe, ils s’extasient devant chaque titre de Bella Bellow, et sont de fervants followers d’AFROPUNK, mais ne représentent pour le moment qu’un nombre restreint.

asrafobawu

« DON’T AGONIZE, ORGANIZE »

Ces vêtements parlent du continent avec un language autre que victimaire. La phrase qui va suivre est peut-être clichée mais, toute personne qui a un intérêt réel pour l’Afrique se sentirait inévitablement attirée par les produits ASRAFOBAWU.
La marque est l’un des reflets les plus fidèles de l’Afrique qui s’éveille. D’une génération qui prend conscience des richesses qu’elle a et qui est déterminée à se les approprier.

 

L’expo à Africamontmartre…

affiche expo montmartre

« Je n’ai jamais rêvé faire de la mode. Ce qui m’intéressait à la base c’est notre Culture : la connaitre, la comprendre. Quand je suis tombé sur les merveilleux tissus produits sur le continent Africain, je me suis dit qu’il fallait que je les montre absolument au monde. Puis je suis retombé dans un autre monde. Celui de quelques femmes et hommes qui s’efforcent de préserver une tradition qui se meurt chaque jour. Asrafobawu est né… J’ai l’honneur de faire ma première exposition à #Paris du 13 au 16 décembre prochain dans la cadre d’ Africamontmartre édition N°4 Galactxmas.
Mais avant, j’irai foutre le feu à #Accra ce samedi 24 nov dans le cadre du YOYO TINZ Festival. Venez nous voir si vous êtes dans ces villes. Venez qu’on célèbre l’Excellence, ce dont l’Afrique a besoin. 46 jours donc, qui sonnent comme une prolongation. Moi qui pensais avoir fini avec 2081. La vie reste un long et beau voyage. Il y a ce qu’on prévoit, puis ce qui nous tombe dessus. A la base, je ne rêvais même pas faire de la musique. Je voulais juste garder mon âme d’enfant ! »
Elom 20ce le 15/11/18

asrafobawu

La mode a pour caractéristique d’être extrêmement schizophrène. Aujourd’hui nous voulons ceci et le lendemain son opposé. La vision d’Elom 20ce pour ASRAFOBAWU est quant à elle constante.
C’est avec un grand bout d’Afrique dans les valises que la marque togolaise débarque au pop-store créatif d’Africamontmartre à Paris les 13-14-15 et 16 décembre 2018.
Pour ceux qui peuvent s’y rendre, Elom 20ce vous y attendra. 😉


Trop intelligents pour être heureux en Afrique

Au garçon le plus intelligent et incompris qu’il m’a été donné de rencontrer. Celui dont la façon originale de concevoir les différentes formes de vies humaine, animale, végétale, spirituelle, cosmique… a plus que je ne pourrai jamais l’admettre déteint sur moi.

 

L’intelligence sous diverses formes

J’ai ressenti en abordant ce sujet pourtant si actuel un arrière goût afrofuturiste. Comme si je faisais part d’une ambition lointaine et fictive. Ce sentiment démontre la nécessité de trouver réponse à la question qui suit.
Sommes-nous prêts, en Afrique, à tolérer d’autres formes d’intelligences ? Des intelligences plus abstraites, moins évidentes que celles auxquelles nous sommes habitués ? Celles-là même dont la découverte nécessite une certaine perspicacité et une ouverture d’esprit ?

Dans un monde et une Afrique où chaque parent veut élever des techniciens, des gagneurs, des chevaux de course, quelle place réserve-t-on aux profils atypiques ? Quelle place pour ces enfants (et adultes) qui nécessitent un encadrement particulier pour arriver à faire éclore les potentiels aussi divers qu’extraordinaires enfouis en eux ?

Il faut de tout pour faire un monde, il nous faut également intégrer le fait que le continent a besoin de toutes les têtes capables de participer à la pensée commune de son développement. A ce niveau précis du développement de l’Afrique, la question des têtes pensantes est primordiale.

 

Surdoués, autistes, dyslexiques, dysphasiques…

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zebra bar/Jordan Andrews

On les appelle surdoués, personnes à haut potentiel, HPI (Hauts Potentiels Intellectuels), HPE (Hauts Potentiels Emotionnels), zèbres (1), hypersensibles etc. Le portrait que les uns et les autres dressent d’eux est semblable à celui de super-humains et le précieux don dont ils sont dotés est admiré et fantasmé. Leur cas fait l’objet de plus en plus de débats, d’études et de discussions. La recrudescence d’intérêt pour cette frange de la population fait même penser à un effet de mode, soit.
Si dans les pays occidentaux on a connaissance de leur existence et que (malgré le chemin qu’il reste à faire) des dispositifs sont mis en place pour veiller à leur épanouissement, quelle est la situation en Afrique ?

Dans un documentaire que j’ai regardé il y a quelques jours, un petit garçon malgache de 7 ans nommé Charly a été enchainé à un piquet sur les instructions d’un pasteur exorciste luthérien. Charly n’ayant jamais prononcé un mot depuis sa naissance, ils ont supposé qu’il fallait l’enchaîner afin de chasser le démon qui l’empêchait de s’exprimer et d’aller à l’école. J’ai eu beaucoup de peine parce que des personnes un tant soi peu informées sur les divers aspects du mental sauraient que ce petit garçon était peut-être dysphasique ou atteint d’un autre trouble du langage, et qu’il n’avait besoin que d’un accompagnement particulier pour s’épanouir. Il paraît même que ces personnes sont généralement très intelligentes (peut-être parce qu’elles observent plus qu’elles ne parlent).

Certains d’entre nous ont peut-être connu, durant leur cursus scolaire, un camarade qui était loin d’être brillant et pour qui le moindre exercice d’addition, de conjugaison ou de dissertation virait au cauchemar. Il n’était pas forcément plus paresseux que les autres élèves, mais on aurait dit que son cerveau n’arrivait ni à interpréter et encore moins à traiter les instructions données par les enseignants. Nous avons d’ailleurs souvent rigolé lorsqu’il était désigné pour répondre à une question.
Et si le seul malheur du camarade en question était de percevoir les choses d’une façon différente de la notre, de « la normale » ? Et si, dans sa tête, l’assemblage des lettres et/ou des chiffres étaient un casse-tête chinois et que ses réelles capacités étaient nichées ailleurs ? Il était peut-être juste dyslexique, pas idiot. Nous ne le saurons sûrement jamais puisque les humiliations des enseignants doublées des regards moqueurs des camarades que nous étions ont probablement réduit en miettes sa confiance en lui.

Voilà comment des génies sont avortés. Voilà comment nous nous érigeons en des Procuste, coupant inlassablement des têtes dont le seul « malheur » est de ne pouvoir rentrer dans les dimensions du si beau lit dressé par notre société. Originalité et stupidité tendent à être confondus et le génie créatif n’a d’autre choix que de s’incliner devant la toute-puissance d’un système scolaire pourtant vétuste.

Arrière de nous les émotifs, les sensibles, les « artistes ». Pas de « j’ai mal » encore moins de « je n’y arrive pas ». Créativité, imagination, qu’est-ce qu’on en a à faire ? Donnez à ces gamins des leviers pour qu’ils soulèvent le monde (un peu à la Archimède quoi). On en vient à oublier que l’innovation naît de la capacité de ceux qui créent à percevoir et à ressentir les choses d’une manière différente, neuve.
On en vient à oublier qu’un élève en difficulté scolaire n’est pas forcément un attardé.

 

Le fardeau de l’intelligence

« Ceux qui pensent que l’intelligence a quelque noblesse n’en ont certainement pas assez pour se rendre compte que ce n’est qu’une malédiction » Martin Page

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Issue de la série « 2050 »/ Yannis Davy Guibinga

Je ne saurais verser dans l’établissement d’interminables liens qu’il y aurait ou non entre le fait d’être doué et le quotient intellectuel (QI), ou encore les différences entre le surdoué et l’individu à haut potentiel. Les spécialistes en la matière s’en sont bien chargés. Il est tout de même clair que l’image qui vient en tête lorsqu’on évoque cette catégorie de personnes, c’est celle d’individus dotés d’une intelligence et d’une créativité débordantes. Mais la contrepartie de ce « don » tant fantasmé peut s’avérer lourde pour ces personnes et leurs entourages, surtout lorsqu’elles ne sont pas informées des contours de la chose. Ce qui est le cas en Afrique.

Les Hauts potentiels sont des personnes intellectuellement et/ou émotionnellement au-dessus de la moyenne. Leurs cerveaux, selon les spécialistes, connaissent une permanente suractivité. Ce qui engendre chez eux une sensibilité exacerbée ; on les appelle d’ailleurs des hypersensibles ou des sur stimulés. Ils ressentent les émotions avec une intensité décrite par Pearl Buck dans l’un de ses poèmes et traduite en ces mots par la psychologue Jeanne Siaud Facchin« Un effleurement est un coup, un son est un bruit intense, un revers de fortune est une tragédie, une joie c’est l’extase, un ami c’est un amoureux, un amoureux c’est dieu et un échec c’est la mort. »

Dans ce lot de « supers humains », il n’y a pas que des génies pleinement épanouis. Il arrive que certains surdoués tombent dans la partie handicapante de la chose. Ils sont parfois en échec scolaire, professionnel ou social, surtout lorsque leur fonctionnement peu commun a du mal à être accepté par leur environnement (non acceptation due à l’ignorance). Ils requièrent un accompagnement assez particulier pour éclore leur potentiel. Ce qui une fois encore ne leur est dans la plupart des cas pas réservé en Afrique.
Leur manière d’être, les petits rituels que certains d’entre eux mettent en place afin de contrôler leur fonctionnement demeurent énigmatique. L’hyper intellectualisation, le sens poussé de la justice, l’extrême lucidité, l’hyper créativité, la sensibilité aigue, l’urgence à agir et le sens critique qui les caractérisent les rendent étranges. L’Afrique n’étant pas à priori l’exemple parfait de lieu où le sens critique des enfants est le plus encouragé, on imagine le sort qui leur est réservé.

 

Enfants sorciers ou génies?

« Car avec beaucoup de sagesse on a beaucoup de tracas, et plus on a de science, plus on a de tourment » Ecclésiaste 1 :18

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Profil Gael Barboza (Twitter/Instagram)

Le décalage avec le reste du monde peut être source de souffrance et d’isolement.
Et si en plus du regard critique et parfois stigmatisant porté sur eux on se met à trouver en leur particularité un aspect maléfique, on comprend la souffrance dont peuvent être victime cette partie de la population vivant en Afrique.
Que d’énormes potentiels intellectuels court circuités à cause de cette tendance à diaboliser tout fait étrange sans en chercher la cause. Que de génies qui ne se déploieront peut-être jamais dans une société africaine où les phénomènes auxquelles aucune explication rationnelle n’est trouvée sont mis sur le compte du démon.
Dans les pays d’Afrique centrale, en Angola, au Benin, au Nigéria et au Togo entre autres (beaucoup plus dans les zones rurales de ces pays), les tendances font remarquer que de plus en plus d’enfants et de jeunes adolescents sont accusés de sorcellerie sur la base de faits qualifiés d’anormaux. Cette manière de penser empêche le questionnement qui aurait éventuellement pu permettre de comprendre qu’un enfant un peu « trop curieux », replié sur lui-même et peut-être intuitif n’est pas pour autant possédé par un mauvais esprit, mais possède seulement un cerveau au fonctionnement différent, plus efficient.
Il parait que sur les iles Salomon, pour abattre un arbre, ils n’utilisent ni hache, ni coupe-coupe (eh oui ils sont écolo). Ils se rassemblent autour de l’arbre en question, l’insultent et le maudissent jusqu’à ce que quelques jours après, il ne tombe de lui-même. Si des mots peuvent abattre des arbres, pensez à ce qu’ils peuvent faire à des gosses.

Dans leur désir d’acceptation, ils se sentent obligés de s’intégrer. S’intégrer pour eux, c’est selon les mots de Wyatt, un surdoué: « faire le deuil de leurs idéaux. C’est réussir à se détacher. C’est se résigner, aller dans le sens d’un monde qui ne va pas dans le bon sens. Redoubler d’efforts pour s’enfoncer dans l’erreur. C’est un peu l’Albatros de Baudelaire : voler seul ou perdre de sa hauteur. Cacher ses grandes ailes blanches pour traîner avec les pingouins. Au risque d’accepter la solitude qui les traque, les ronge et les détruit. »

En fin de compte, les traits qui caractérisent les personnes à haut potentiel peuvent-ils être compatibles avec certaines croyances, traditions et usages répandus sur notre continent ?
Certaines personnes seraient-elles trop intelligentes pour rentrer dans le moule de notre société ?
Est-ce juste que leur atout devienne par faute d’information source de tourments ?

 

(1) Zèbre : Les personnes surdouées sont nommées « zèbres » parce que c’est le seul animal sauvage que l’homme n’a pu domestiquer.


Femme et féminité : N’éteins pas la lumière

Que verront les érudits de demain lorsqu’ils nous étudieront ? Que leur indiqueront les portraits qu’ils retrouveront de la femme actuelle ? Celle qui probablement serait leur mère, grand-mère ou aïeule ? Lorsqu’ils seront en possession des boîtes noires et archives qui renferment les diverses pratiques et modes de vie qui cadencent le rythme de notre époque, que verront-ils ? Des femmes ayant été déterminées à illuminer de leurs talents le monde ou des dames qui se sont limitées à être ce qu’elles sont censées être selon le « lien femme-société » établi par la société ?

C’est en réponse à ces questions qu’un groupe de jeunes dames de nationalités différentes ont choisi le canal du dialogue de cultures pour aborder le thème de la revalorisation de l’identité de la femme parallèlement à celle de sa plastique. Plusieurs projets, dont un espace de discussion, des shooting photo et un spectacle de danse contemporaine intitulé « N’éteins pas la lumière » seront à cet effet mis en place. Par ce titre évocateur, il est question principalement de mettre en lumière le corps de la femme.

La distinction entre femme & féminité

modèle alex sef et danseuse chris
Modèles: Alex Sef & Estelle Foli

Le statut de femme a souvent été associé à la féminité.
De manière imagée, considérons la femme comme étant un contenant et la féminité comme un contenu. La plupart des croyances populaires définissent le contenant par rapport à son contenu ou au pourcentage de son contenu. C’est à dire que l’on pense souvent qu’une femme est femme si elle renferme un pourcentage élevé de féminité. J’affirmerai dès maintenant que cette manière de voir les choses est à la base de plusieurs complexes dont est victime la femme.
L’intensité de cette conception varie néanmoins à travers les époques. Une illustration de la femme moyenâgeuse serait presque automatiquement caractérisée par des camisoles et jupons, tandis que la femme moderne aurait une représentation un peu plus éclectique. On ne dira donc pas que les choses n’ont pas bougé depuis le temps, et c’est peut-être tant mieux.

Posons les bases en ôtant la confusion qui existe entre les concepts de femme et de féminité.
Le concept de femme est lié à des critères physiques, physiologiques et morphologiques. On naît fille et on devient femme. Par conséquent, un homme qui se sent femme n’est pas pour autant une femme et un homme « contenant » une part élevée de féminité n’est pas non plus une femme.
On comprend donc aisément que les attributs qui emmènent à qualifier une personne de féminine ou de masculine n’ont pas toujours trait à l’enveloppe corporel de cette dernière.

La féminité, une notion relative

alex sef
Alex Sef

La féminité est d’abord un concept extrêmement influencé par le facteur culture. La diversité culturelle entraîne donc logiquement une variabilité du sens de la féminité.
Certes, il existe des canons de beauté et de féminité qui semblent être communs à la majorité des cultures (maquillage, bijoux etc).
Mais au finish, est-ce uniquement une question de jupe ou de pantalon ? Puisqu’en Écosse par exemple le kilt (1) n’est en rien un symbole de féminité. Aux Congos, une catégorie de sapeurs dénommés « Japonais » se vêtissent très souvent d’une tenue qui visuellement ressemble plus à une jupe qu’à un pantalon.
En somme, ce n’est pas tant le vêtement, le maquillage, la coiffure, qui rendent une femme féminine ou masculine. Certes l’accoutrement a parfois une part de responsabilité dans l’attribution de ces deux qualificatifs, mais comme dirait l’autre, l’habit ne fait pas tout. En d’autres termes, l’apparence ne représente qu’une partie du décor. C’est ce que l’agencement de l’intérieur et de l’extérieur de la femme lui permet de dégager qui la rend féminine.
Pour preuve, j’ai rencontré des femmes aux cheveux courts qui m’ont donné envie d’en faire de même, tant ce qu’elles dégageaient était magnifique. Il y a un bon nombre de femmes qui ne s’attardent pas plus que cela sur leur maquillage mais en qui tout respire la féminité.

La féminité et les canons de beautés

alex sef et chris
Alex Sef & Estelle Foli

On a souvent entendu la féminité être réduite aux attributs morphologiques de la femme. Et encore une fois, cette conception varie selon les cultures.

En Afrique par exemple, la femme « féminine » est souvent celle que l’on peut qualifier à vue d’œil de « forme coca-Cola ». Celles aux formes généreuses et aux contours ponctués de rondeurs. En gros et d’une manière brute, la féminité est équivalente à une paire de seins et de fesses suffisamment rebondies.
Dans le monde occidental par contre, la femme « féminine » sera celle à la silhouette longiligne et aux traits affinés.
Quant au monde musulman, la femme féminine est souvent celle qui se recouvre d’une catégorie de vêtements.
En résumé, dans certaines parties du globe, on considère que le fait de se couvrir d’une certaine manière fait d’une femme, une femme féminine, et dans d’autres contrées, c’est l’aptitude de la femme à se dénuder qui la rend féminine…femme.

Ce n’est pas en soi la variabilité du concept qui pose problème. C’est la confusion qui est générée en la femme qui, pensant trouver dans ces références, le point d’ancrage de sa personnalité, se lance dans une poursuite du vent et se vide progressivement de l’essentiel.
Savez-vous ce que vous implantez en vos petites filles lorsque vous réduisez leur capacité à être femme au physique, au visible, à la « coquetterie » ? Avez-vous une idée de ce qui se passe en une jeune femme lorsque son entourage réduit sa condition de femme à ses aptitudes à devenir une « Miss » selon des standards de beauté de plus en plus aberrants ?
Eh bien vous effacez littéralement ce qu’elle est, ce qu’elle est appelée à être. A moins d’être assez mature ou forte de caractère pour pouvoir balayer ces diktats du revers de la main, elle se mettra à faire l’impossible afin de se fondre dans un moule soigneusement fabriqué par une société dont la moindre action est précédée d’un arrière-plan capitaliste. Elle devrait plutôt s’atteler à développer l’essentiel, le véritable « petit truc » qui fait d’elle non seulement une FEMME, mais aussi un être de valeur : sa singularité.

Parce qu’au final, nous ne sommes pas appelées à être semblables à une bande de poupées fabriquées à la chaîne dans les sous-sols d’une usine chinoise. Nous sommes appelées à dégager un parfum unique, propre à chacune.

Femme forte, femme masculine?

alex sef et chris
Alex Sef & Estelle Foli

J’ai récemment entendu une phrase qui m’a laissée un peu perplexe. Il s’agit d’une femme qui reprochait à son amie d’être trop forte. Le contexte prêtait peut-être à une telle affirmation, mais déplacé de ce contexte, cette phrase illustre une autre idée reçue bien ancrée dans les consciences populaires. Je cite : « Laureen, tu n’as pas besoin d’un homme, tu es un homme ». Qu’est-ce que cela pouvait bien dire ? La force de caractère rend t- elle une femme moins femme ? Une femme est-elle forte, ambitieuse et battante dans le seul but de se substituer à un homme ? (Je ne devrais pas avoir à le rappeler mais je rappelle quand même que nous ne confondons pas la force de caractère à une tendance à la brutalité ou aux mauvaises manières).
Si l’on emmène même ce terme dans un contexte physique, une femme physiquement forte en est-elle moins femme ? Une vraie femme est-elle censée être une pauvre petite chose, toute faible et molle ? Si c’était le cas l’espèce humaine serait en réel danger d’extermination, puisque le seul fait de pouvoir garder en soi une vie, et puis de pouvoir la faire sortir nécessite une force physique et mentale que l’on n’imagine pas. « N’importe qui peut être une fille mais il faut avoir des couilles pour être une femme ».  Cette phrase a beau être trash, elle n’en demeure pas moins vraie.
Autre chose, si la force de caractère ou la force physique était opposable aux concepts de femme et féminité, nous éviterons dorénavant de considérer les sportives de haut niveau comme faisant partie de la gent féminine. Je n’oserai même pas parler des bodybuildeuses, je ne tiens aucunement à soulever une polémique stérile.

Ce qu’il faut retenir…

photo Desigual
Crédit photo: Desigual

En pantalon ou en jupe, maîtrisant les techniques de contouring ou plutôt adepte de simplicité, ronde ou filiforme, foncée, claire, robuste ou non, femme au foyer ou working girl, chaque femme a sa place et peut transcender les limites posées par notre société en optimisant son potentiel.

Cette citation de Coluche vaut ce qu’elle vaut, mais lorsque vous vous sentez envahies par des torrents de complexes liés à votre apparence, rappelez-vous que « La bonne taille c’est quand les pieds touchent le sol ».

Aimez ou du moins apprenez à aimer votre enveloppe corporelle et prenez en soin. L’assertion selon laquelle le monde qui vous entoure ne commence à véritablement vous aimer et vous respecter que lorsque vous êtes arrivé à vous aimer et à vous apprécier vous-même n’est pas un cliché ; c’est un fait avéré. Pourquoi ? Tout simplement parce que l’amour pour soi engendre la confiance en soi et une personne confiante en elle est une personne heureuse. C’est la bulle de bonheur que la confiance construit autour de votre personne qui attire. Aussi simple que basique.

Chacune d’entre nous aspire, j’imagine, à ce degré de maturation. Cette étape où l’on peut se regarder dans un miroir et aimer l’image qui nous est renvoyée. Le processus étant progressif, pourquoi ne pas l’entamer en répertoriant ces choses que vous aimez le plus sur votre physique et en mettant une emphase sur elles ?

Pour ma part, j’ai un jour commencé par ma magnifique touffe de cheveux, puis ma peau sèche mais joliment teintée de brun, ensuite mon nez, puis mes lèvres… J’en suis même arrivée à aimer ma petite taille (n’est-ce pas que les petites choses sont les plus mignonnes ? 😊 ).

Il est donc possible que vous arriviez à apprécier les « défauts » qui autrefois vous donnaient envie d’éteindre la lumière lorsque vient le moment de dévoiler votre corps. D’ailleurs, ce sont la plupart du temps ces détails qui vous singularisent.

Revenons à l’essentiel Mesdames. Prenons aujourd’hui la décision de retirer au monde tout ce qu’il a volé à nos mères et ce qu’il a voulu nous voler à nous. Faisons taire les voix aussi bien intérieures qu’extérieures qui nous limitent, et le ciel ne sera pas assez vaste pour contenir nos accomplissements.
Vous n’avez pas besoin que le monde vous décerne une couronne pour vous sentir reines.

So ladies, feel free to be yourself. Because all of you are QUEENS…

 

1- Le kilt est un habit traditionnel porté par les hommes des Highlands, les Hautes Terres d’Écosse, comme d’autres porteraient un pantalon. Le kilt est généralement une jupe portefeuille plissée.


Dépression dans les rangs des étudiants africains à l’étranger : parlons-en !

Le texte ci-dessous a pour but de traiter un sujet qui touche en silence de plus en plus de personnes. Il s’agit de la dépression des jeunes africains partis étudier à l’étranger. Essayons d’appréhender le phénomène dans son entièreté, à travers quatre points essentiels.

Section 1: récit d’une jeune femme

« Valises faites, adieux aussi, tu es encore à mille lieues d’imaginer les crises d’angoisses nocturnes qui t’attendent lorsqu’en plein -5 degrés, tu te retrouveras seule dans ta chambre. Tellement seule que tu te lanceras dans des dialogues avec toi même. Mille et une questions, souvent pas très gaies, te traversent alors l’esprit. «Qui appeler s’il m’arrivait quelque chose là maintenant? A qui téléphoner si je fais une chute sous la douche et si je me casse la gueule? Je ne vais quand même pas appeler maman, elle risque de trop s’inquiéter... (j’avoue, c’est un peu parano, lol)». Résultat : tu prends sur toi et tu essaies de chasser tes mauvaises pensées. Mais après quelques jours, à bout de nerfs, tu craques, tu appelles une amie, et avant qu’elle ne dise un mot, rien qu’au son de sa voix, tu éclates en sanglots, tu pleures à n’en plus finir.

photo Afi Affoya et maman
crédit: Happuc Photography

Après quelques mois à l’étranger, tu as mangé plus de riz et de pâtes que tu en as mangé durant toute ta vie. A tel point que la pâte de farine de maïs que tu détestais tant te manque ! Puis un jour, par bonheur, tu tombes sur une boutique de produits vivriers africains, qui coûtent bien sûr dix fois plus cher que ceux de chez toi, mais tu prends sur toi, «ça n’arrive pas souvent», te dis-tu pour amortir le choc que va subir ton portefeuille. Tout ce qui compte, c’est que tu vas te régaler. Ta sauce gombo ne sera certainement pas aussi bonne que celle de maman, mais tu ne vas pas te plaindre pour une fois que tu peux manger autre chose que la combinaison riz-pâtes-frites surgelés.
Et tu comprends à ce moment la signification du dicton «on est mieux chez soi». Qu’on ne s’y méprenne pas, tu es partie pour un but et tu es consciente de devoir l’atteindre. Mais c’est juste trop compliqué parfois.

Tu trouves alors marrant ceux du pays qui crient haut et fort leur mépris pour la terre de leurs aïeux, mais ô combien tu les comprends. N’es-tu pas passée par là toi aussi ? Et ne dit-on pas qu’on ne connaît la valeur d’une chose que lorsqu’on la perd?
A présent le soleil te manque. Les salutations incessantes qui se transforment parfois en séances de commérages, le bruit assourdissant des taxi-motos, les visites sans rendez-vous et les cris de gamins qui jouent devant ta maison les après-midis te manquent. Bref, l’Afrique te manque…

Voici partiellement résumé le parcours d’une majeure partie de la population estudiantine africaine établie hors du continent. C’est le côté le plus sombre, celui qui est à l’opposé des paillettes et du strass fantasmés et sur lequel peu de jeunes s’expriment ouvertement pour diverses raisons.

Section 2: focus sur les étudiants africains

La dépression c’est peut-être cet état constant de vide dans lequel vous êtes plongé. Ce gouffre que vous sentez lentement mais sûrement s’installer en vous. Cet état de tristesse qui parfois sans raison précise vous colle à la peau, ce désespoir et cette impression permanente d’être minable, laid et sans valeur. Ce sont ces pensées suicidaires qui vous taraudent, et c’est votre vivacité que vous sentez peu à peu décliner.
Elle peut durer dans le temps ou être temporaire et sera, selon l’intensité des symptômes, qualifiée de légère (déprime), modérée ou majeure (dépression clinique).

photo prise par afi affoya
crédit: Afi Affoya

Cet état de santé a, bien entendu, des causes diverses. Tous ceux qui sont touchés devraient peut être essayer de comprendre les causes de cet état si difficile à vivre. Chaque situation est particulière, c’est du cas par cas. A chaque patient la cause intrinsèque de son mal être. Et parlant des étudiants africains, les causes prennent également une tournure spécifique, liée à leur condition.
La solitude, l’isolement, le manque de moyens financiers, le sentiment de ne pas être accepté, le changement drastique du mode de vie ou parfois du climat… toutes ces nouveauté sont quelques uns des agents provocateurs de cet état chez certains jeunes.

A cela, il faut ajouter à cela la pression de certaines familles, dont les attentes sont souvent énormes. « Tu es l’espoir de la famille, il faut que tu réussisses pour que tes frères et soeurs puissent te rejoindre là-bas, ne gâche pas la chance que tu as d’être parti… ». Certains de ces étudiants se sentent ainsi contraints de soutenir ceux qui sont restés au pays alors qu’ils ont eux même du mal à s’en sortir financièrement. Manque de bol, nous vivons dans une société où l’on a tendance à retirer au démuni le peu qu’il a et à offrir toujours plus au riche. Ce qui est loin d’être arrangeant pour les jeunes étudiants africains qui se retrouvent presque tous du mauvais côté du tableau.

On a aussi souvent entendu des propos du genre « On est tous passés par là » ou« C’est le passage obligé de tout étudiant étranger ». Ces affirmations ne sont pas fausses… Mais nous ne ressentons pas tous les choses de la même manière, et nul n’a le droit de quantifier la souffrance d’autrui. Banaliser le phénomène ne fait d’ailleurs que noyer davantage les personnes qui ressentent un mal être profond.

« Nous ne ressentons pas les choses de la même manière et nul n’a le droit de quantifier la souffrance d’autrui. »

Venons-en à présent à cette tendance que nous, africains, avons à négliger les aspects mentaux de la santé. Classant à tort la dépression et autres troubles mentaux dans la case des « maladies de blancs ou de riches ». Dans notre société africaine, ces troubles ne sont pris au sérieux que lorsqu’ils atteignent un point critique. Aussi sont-ils criblés de préjugés, ce qui empêche de les cerner de manière objective et claire.

Non, la dépression n’est pas une maladie de blancs, ni de faibles d’esprit. La précarité est d’ailleurs une situation qui crée de l’angoisse et donc une des causes de ce sentiment de mal être. Qu’on ne vienne donc surtout pas me dire que la depression est une maladie de riches, comme s’il s’agissait d’un hobby.

Section 3: manifestations et approche de solutions

Les impacts de la dépression chez les étudiants africains vivant à l’étranger se ressentent bien évidemment sur les résultats académiques et sur leur rapport aux études (dégringolade des notes, décrochage pour certains). Un étudiant autrefois vif et performant deviendra nonchalant et désintéressé. Autrefois sociable et ouvert, il  deviendra peut être colérique, isolé ou amer. Le recours aux stupéfiants fait aussi partie du lot des manifestations de ce trouble mental. On pense alors trouver un réconfort dans l’évasion temporaire offert par l’alcool et autres stupéfiants. Mais c’est juste une fuite, ça ne règle évidemment pas le problème.

photo prise par Afi Affoya
crédit: Afi Affoya

Heureusement, dans la plupart des pays d’accueil, il existe des systèmes mis en place pour prévenir et soigner ce mal. Ils sont souvent ignorés par cette frange de la population mais n’en sont pas moins efficaces. En France par exemple, il y a les Association France-dépressionInfo dépressionSOS AmitiéSOS DépressionLa Porte OuverteEntr’actesSuicide Ecoute SOS Suicide PhénixFil Santé Jeunes … Pour ceux des autres pays, internet saura vous aider à les trouver. Ces associations, organisations et numéros verts ont été instaurés pour une mission précise : aider les personnes à traverser les moments de troubles et de difficultés. Il n’y a donc aucune honte à se rapprocher d’eux et à leur demander de l’aide.

Pour faire face, voici quelques attitudes de base à adopter lorsque les signaux sont en alerte : essayer au maximum d’éviter l’isolement, essayer tant bien que mal de se divertir et de se défouler, en s’obligeant à exercer des activités extérieures, auxquelles on se sent encore intéressé (plus facile à dire qu’à faire, je sais).
Il y a par ailleurs dans toutes les grandes universités des associations réunissant les diverses nationalités présentes. La majorité de ces associations représentent les étudiants ressortissants de pays africains. Elles sont pour ces étudiants des lieux de repère et de fraternité et doivent de ce fait mettre en place des cellules d’écoute ou des groupes de parole où les membres en souffrance peuvent entre eux s’exprimer et se décharger. Parler de son mal, c’est le premier pas vers la guérison. Dire ce que l’on ressent, parler, c’est en effet très important.

Section 4: appel aux parents et familles

Chers parents, nous avons pleinement consience que vous envoyez vos enfants à l’étranger et particulièrement dans les pays développés dans le but d’obtenir des résultats probants. Pour la plupart d’entre vous, cet investissement représente le sacrifice d’une vie, l’ultime espoir de réussite. Mais leur santé physique et mentale compte certainement pour vous plus que tout.
Même si la mission n’est pas toujours évidente, assurez-vous de loin qu’ils se sentent bien. Encouragez-les, réconfortez-les, et surtout ne paniquez pas lorsqu’ils vous appellent en pleurs. Parce que ne voulant pas inquiéter leurs proches, beaucoup préfèrent se taire pour s »en sortir tout seuls. Mais cela les isole, d’où la recrudescence du mal. Soyez prêts à être à leur écoute, à les soutenir, à être leur force lorsqu’ils en parle.

photo prise par nathaniel tetteh sur unsplash
crédit: Nathaniel Tetteh

Et enfin, à toi qui ressens ce mal-être si profond que les mots pour le décrire semblent ne pas exister, sache que tu es tout sauf minable et inutile. D’ailleurs, au fond de toi, tu le sais. Sache aussi que tu peux t’en sortir, que tu as le droit de crier à l’aide s’il le faut. Tu as de la valeur, tu es aimé et tu comptes. Better days are coming... 😉