Trop intelligents pour être heureux en Afrique
Au garçon le plus intelligent et incompris qu’il m’a été donné de rencontrer. Celui dont la façon originale de concevoir les différentes formes de vies humaine, animale, végétale, spirituelle, cosmique… a plus que je ne pourrai jamais l’admettre déteint sur moi.
L’intelligence sous diverses formes
J’ai ressenti en abordant ce sujet pourtant si actuel un arrière goût afrofuturiste. Comme si je faisais part d’une ambition lointaine et fictive. Ce sentiment démontre la nécessité de trouver réponse à la question qui suit.
Sommes-nous prêts, en Afrique, à tolérer d’autres formes d’intelligences ? Des intelligences plus abstraites, moins évidentes que celles auxquelles nous sommes habitués ? Celles-là même dont la découverte nécessite une certaine perspicacité et une ouverture d’esprit ?
Dans un monde et une Afrique où chaque parent veut élever des techniciens, des gagneurs, des chevaux de course, quelle place réserve-t-on aux profils atypiques ? Quelle place pour ces enfants (et adultes) qui nécessitent un encadrement particulier pour arriver à faire éclore les potentiels aussi divers qu’extraordinaires enfouis en eux ?
Il faut de tout pour faire un monde, il nous faut également intégrer le fait que le continent a besoin de toutes les têtes capables de participer à la pensée commune de son développement. A ce niveau précis du développement de l’Afrique, la question des têtes pensantes est primordiale.
Surdoués, autistes, dyslexiques, dysphasiques…
On les appelle surdoués, personnes à haut potentiel, HPI (Hauts Potentiels Intellectuels), HPE (Hauts Potentiels Emotionnels), zèbres (1), hypersensibles etc. Le portrait que les uns et les autres dressent d’eux est semblable à celui de super-humains et le précieux don dont ils sont dotés est admiré et fantasmé. Leur cas fait l’objet de plus en plus de débats, d’études et de discussions. La recrudescence d’intérêt pour cette frange de la population fait même penser à un effet de mode, soit.
Si dans les pays occidentaux on a connaissance de leur existence et que (malgré le chemin qu’il reste à faire) des dispositifs sont mis en place pour veiller à leur épanouissement, quelle est la situation en Afrique ?
Dans un documentaire que j’ai regardé il y a quelques jours, un petit garçon malgache de 7 ans nommé Charly a été enchainé à un piquet sur les instructions d’un pasteur exorciste luthérien. Charly n’ayant jamais prononcé un mot depuis sa naissance, ils ont supposé qu’il fallait l’enchaîner afin de chasser le démon qui l’empêchait de s’exprimer et d’aller à l’école. J’ai eu beaucoup de peine parce que des personnes un tant soi peu informées sur les divers aspects du mental sauraient que ce petit garçon était peut-être dysphasique ou atteint d’un autre trouble du langage, et qu’il n’avait besoin que d’un accompagnement particulier pour s’épanouir. Il paraît même que ces personnes sont généralement très intelligentes (peut-être parce qu’elles observent plus qu’elles ne parlent).
Certains d’entre nous ont peut-être connu, durant leur cursus scolaire, un camarade qui était loin d’être brillant et pour qui le moindre exercice d’addition, de conjugaison ou de dissertation virait au cauchemar. Il n’était pas forcément plus paresseux que les autres élèves, mais on aurait dit que son cerveau n’arrivait ni à interpréter et encore moins à traiter les instructions données par les enseignants. Nous avons d’ailleurs souvent rigolé lorsqu’il était désigné pour répondre à une question.
Et si le seul malheur du camarade en question était de percevoir les choses d’une façon différente de la notre, de « la normale » ? Et si, dans sa tête, l’assemblage des lettres et/ou des chiffres étaient un casse-tête chinois et que ses réelles capacités étaient nichées ailleurs ? Il était peut-être juste dyslexique, pas idiot. Nous ne le saurons sûrement jamais puisque les humiliations des enseignants doublées des regards moqueurs des camarades que nous étions ont probablement réduit en miettes sa confiance en lui.
Voilà comment des génies sont avortés. Voilà comment nous nous érigeons en des Procuste, coupant inlassablement des têtes dont le seul « malheur » est de ne pouvoir rentrer dans les dimensions du si beau lit dressé par notre société. Originalité et stupidité tendent à être confondus et le génie créatif n’a d’autre choix que de s’incliner devant la toute-puissance d’un système scolaire pourtant vétuste.
Arrière de nous les émotifs, les sensibles, les « artistes ». Pas de « j’ai mal » encore moins de « je n’y arrive pas ». Créativité, imagination, qu’est-ce qu’on en a à faire ? Donnez à ces gamins des leviers pour qu’ils soulèvent le monde (un peu à la Archimède quoi). On en vient à oublier que l’innovation naît de la capacité de ceux qui créent à percevoir et à ressentir les choses d’une manière différente, neuve.
On en vient à oublier qu’un élève en difficulté scolaire n’est pas forcément un attardé.
Le fardeau de l’intelligence
« Ceux qui pensent que l’intelligence a quelque noblesse n’en ont certainement pas assez pour se rendre compte que ce n’est qu’une malédiction » Martin Page
Je ne saurais verser dans l’établissement d’interminables liens qu’il y aurait ou non entre le fait d’être doué et le quotient intellectuel (QI), ou encore les différences entre le surdoué et l’individu à haut potentiel. Les spécialistes en la matière s’en sont bien chargés. Il est tout de même clair que l’image qui vient en tête lorsqu’on évoque cette catégorie de personnes, c’est celle d’individus dotés d’une intelligence et d’une créativité débordantes. Mais la contrepartie de ce « don » tant fantasmé peut s’avérer lourde pour ces personnes et leurs entourages, surtout lorsqu’elles ne sont pas informées des contours de la chose. Ce qui est le cas en Afrique.
Les Hauts potentiels sont des personnes intellectuellement et/ou émotionnellement au-dessus de la moyenne. Leurs cerveaux, selon les spécialistes, connaissent une permanente suractivité. Ce qui engendre chez eux une sensibilité exacerbée ; on les appelle d’ailleurs des hypersensibles ou des sur stimulés. Ils ressentent les émotions avec une intensité décrite par Pearl Buck dans l’un de ses poèmes et traduite en ces mots par la psychologue Jeanne Siaud Facchin : « Un effleurement est un coup, un son est un bruit intense, un revers de fortune est une tragédie, une joie c’est l’extase, un ami c’est un amoureux, un amoureux c’est dieu et un échec c’est la mort. »
Dans ce lot de « supers humains », il n’y a pas que des génies pleinement épanouis. Il arrive que certains surdoués tombent dans la partie handicapante de la chose. Ils sont parfois en échec scolaire, professionnel ou social, surtout lorsque leur fonctionnement peu commun a du mal à être accepté par leur environnement (non acceptation due à l’ignorance). Ils requièrent un accompagnement assez particulier pour éclore leur potentiel. Ce qui une fois encore ne leur est dans la plupart des cas pas réservé en Afrique.
Leur manière d’être, les petits rituels que certains d’entre eux mettent en place afin de contrôler leur fonctionnement demeurent énigmatique. L’hyper intellectualisation, le sens poussé de la justice, l’extrême lucidité, l’hyper créativité, la sensibilité aigue, l’urgence à agir et le sens critique qui les caractérisent les rendent étranges. L’Afrique n’étant pas à priori l’exemple parfait de lieu où le sens critique des enfants est le plus encouragé, on imagine le sort qui leur est réservé.
Enfants sorciers ou génies?
« Car avec beaucoup de sagesse on a beaucoup de tracas, et plus on a de science, plus on a de tourment » Ecclésiaste 1 :18
Le décalage avec le reste du monde peut être source de souffrance et d’isolement.
Et si en plus du regard critique et parfois stigmatisant porté sur eux on se met à trouver en leur particularité un aspect maléfique, on comprend la souffrance dont peuvent être victime cette partie de la population vivant en Afrique.
Que d’énormes potentiels intellectuels court circuités à cause de cette tendance à diaboliser tout fait étrange sans en chercher la cause. Que de génies qui ne se déploieront peut-être jamais dans une société africaine où les phénomènes auxquelles aucune explication rationnelle n’est trouvée sont mis sur le compte du démon.
Dans les pays d’Afrique centrale, en Angola, au Benin, au Nigéria et au Togo entre autres (beaucoup plus dans les zones rurales de ces pays), les tendances font remarquer que de plus en plus d’enfants et de jeunes adolescents sont accusés de sorcellerie sur la base de faits qualifiés d’anormaux. Cette manière de penser empêche le questionnement qui aurait éventuellement pu permettre de comprendre qu’un enfant un peu « trop curieux », replié sur lui-même et peut-être intuitif n’est pas pour autant possédé par un mauvais esprit, mais possède seulement un cerveau au fonctionnement différent, plus efficient.
Il parait que sur les iles Salomon, pour abattre un arbre, ils n’utilisent ni hache, ni coupe-coupe (eh oui ils sont écolo). Ils se rassemblent autour de l’arbre en question, l’insultent et le maudissent jusqu’à ce que quelques jours après, il ne tombe de lui-même. Si des mots peuvent abattre des arbres, pensez à ce qu’ils peuvent faire à des gosses.
Dans leur désir d’acceptation, ils se sentent obligés de s’intégrer. S’intégrer pour eux, c’est selon les mots de Wyatt, un surdoué: « faire le deuil de leurs idéaux. C’est réussir à se détacher. C’est se résigner, aller dans le sens d’un monde qui ne va pas dans le bon sens. Redoubler d’efforts pour s’enfoncer dans l’erreur. C’est un peu l’Albatros de Baudelaire : voler seul ou perdre de sa hauteur. Cacher ses grandes ailes blanches pour traîner avec les pingouins. Au risque d’accepter la solitude qui les traque, les ronge et les détruit. »
En fin de compte, les traits qui caractérisent les personnes à haut potentiel peuvent-ils être compatibles avec certaines croyances, traditions et usages répandus sur notre continent ?
Certaines personnes seraient-elles trop intelligentes pour rentrer dans le moule de notre société ?
Est-ce juste que leur atout devienne par faute d’information source de tourments ?
(1) Zèbre : Les personnes surdouées sont nommées « zèbres » parce que c’est le seul animal sauvage que l’homme n’a pu domestiquer.
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