25 août 2017

Le wax, un tissu africain fabriqué de toutes pièces

Une question me turlupine depuis un moment et je me demande si la problématique qui l’a soulevée en moi interpelle de temps à autre d’autres membres de la communauté africaine. J’avouerai même qu’une vague de déception m’envahirais s’il s’avérait qu’il n’existait qu’une poignée de personnes qui s’intéresse à cette question, parce que la chose me semble trop incongrue pour rester longtemps inaperçue.
Vous avez sans doute senti passer ou même pour la plupart été touchés par le vent de « neo-négritude » (je ne sais pas quel autre mot utiliser) qui souffle depuis un bout de temps sur le continent africain, la diaspora africaine et en général la communauté noire de part le monde.
Vous avez été au fil des dernières années témoins des nombreuses « révolutions » en matière capillaire (mouvement nappy) et vestimentaire (tendance des tissus africains).
Combien d’entre nous n’avons pas pour des motivations certes diverses mais toujours dans cette lignée de valorisation de la beauté naturelle noire, sauté le cap du big shop? Combien d’entre nous jeunes n’avons pas du tout au tout changé de discours sur le pagne africain, autrefois ringardisé et considéré comme un tissu de vieux, déambulant désormais têtes hautes, torses bombés dans des modèles de pagne les plus casuals les uns que les autres. Les défilés de mode pour marques de vêtements en « tissus africains » comme des champignons dans une forêt en saison pluvieuse poussent de tous côtés, cela n’est bien entendu pas pour nous déplaire, au contraire. Les signes ostensibles d’appartenance à la communauté africaine (prénoms, tissus, cheveux, accessoires…) s’exhibent de plus en plus de manière décomplexée et représentent même pour certains un moyen de revanche sur le diktat d’une mode africaine longtemps imposée par l’occident.
Je ne vous cacherai pas pour autant qu’il existe toujours des personnes de mon entourage qui continuent de s’indigner lorsque je décide de sortir en plein milieu de semaine habillée en Bogolan ou Kenté parce que selon eux « ce sont des accoutrements occasionnels ou au mieux réservés aux dimanches »; cela dit nous ne sommes visiblement pas sur la même planète donc je ne leur en tiens pas rigueur.
Ce n’est en aucun cas la volonté de jouer les rabats joie qui m’anime en écrivant ce texte mais plutôt celle de trouver réponse à mes multiples questionnements, j’estime en avoir le droit.

Le pagne de chez nous 

Tissu Bogolan

Je vous épargnerai la longue histoire du pagne tout en rappelant qu’en Afrique nous en avons moult; et parmi les plus connus on retrouve le Lokpo au Togo, le Dan fani au Burkina, le kenté au Ghana, le Kita en Côte d’ivoire, le bogolan au Mali, le Shuka chez les Massaï au Kenya, le Ndop en pays Bamiléké et bien d’autres encore. Tous savons la place de choix qu’occupent ces tissus rassemblés sous le vocable de pagne en Afrique.
Le pagne est en effet celui qui dans les mains tendues de ceux qui nous attendent à notre naissance couvre et nettoie notre petit corps, et depuis il nous suit à travers les diverses étapes de notre vie; de l’âge de la raison à l’âge adulte en passant par l’adolescence jusqu’aux vieux jours. Les plus vieux morceaux de tissus africains ont d’ailleurs été retrouvés par des archéologues dans des tombes dogon (Mali). Tout cela pour dire que le pagne et l’Afrique c’est plus qu’une histoire d’amour, c’est une histoire d’identité écrite à travers les moments clés de notre existence: naissance, mariage, mort…
Mis à part les différents types de tissus cités plus haut, il y a le wax qui est une autre catégorie de pagne non spécifique à un pays africain mais beaucoup plus commun à tous et plus répandu sur le continent. Il est à la fois le plus populaire, le plus accessible et forcément le plus apprécié. D’ailleurs quand nous africains parlons de pagne, c’est au wax que nous faisons presque automatiquement allusion. Il va donc sans dire (même s’il est toujours mieux de le dire 😉 ) que le wax est Le tissu des africains par excellence. Quoi de plus pratique d’ailleurs pour les membres de la diaspora africaine pour mettre en avant leur africanité que de fièrement se pavaner de temps à autre en wax sous les regards mi-admiratifs mi-perplexes des autres communautés. (😎)

Le wax, un agent double?

Mère & fille en Wax / Crédit: happuc photography

Elle n’est pas aussi dénuée de sens que ça cette question puisque si le wax est censé être l’un des éléments les plus représentatifs de la culture africaine, s’il est l’un des miroirs à travers lesquels le reste du monde perçoit notre africanité, s’il fait autant notre fierté et notre renommée, pourquoi est il majoritairement, sinon exclusivement importé?
Parce que OUI le wax n’est pas pour la majorité produit chez nous. Depuis qu’il a été introduit en Afrique occidentale par les hollandais au 19ème siècle, la relation fournisseurs-clients n’a pas vraiment évolué. Il a certes fait le rayonnement mondial des nana benz du Togo qui en ont été à une époque dorée les distributrices ouest africaines attitrées, les recettes générées par sa vente ont sans doute été d’une aide précieuse pour bon nombre de familles africaines, mais est-ce tout ce que nous sommes sensés espérer d’un produit dont la seule consommation africaine représente l’alpha et l’oméga de ses producteurs étrangers?
On m’opposera peut-être l’argument de la présence en Côte d’ivoire et au Ghana des usines Uniwax, GTP et que sais-je encore. Pourra t-on pour autant me dire qu’elles ne sont pas les filiales d’une quelconque usine textile hollandaise qui en détient des parts colossales?
Parce que nous connaissons tous des filiales d’usines étrangères implantées en Afrique et qui ne profitent en quasiment rien au continent. Donc ce débat n’a pas vraiment lieu d’être.
A moins que la Néerlande, et plus récemment la Chine, le Pakistan… qui trônent sur le marché du wax soient devenus à mon insu des « pays africains d’outre-mer », je ne vois pas la logique qui soutient cette situation. Quand on y pense en fait c’est comme si on a depuis toujours collé à ce tissu l’étiquette d’une identité africaine uniquement dans le but de favoriser son intégration et sa consommation massive sur le continent, cela au détriment des véritables tissus made in Africa avec le savoir faire et l’expérience que l’on connaît aux petites mains africaines. Une fois encore, les africains ne sont ni plus ni moins que les dindons de la farce, parce que soyons clairs et sincères envers nous même; les gesticulations autour de révolutions vestimentaires ne nous servent à rien si les retombées économiques ne profitent toujours qu’aux autres. De la même manière que le retour au naturel n’a aucun sens si les produits d’entretien des cheveux crépus ne génèrent pas d’intérêt à ceux là même qui sont auteurs et acteurs de ce mouvement, c’est à dire les noirs.
Ne paraîtrait il pas absurde que le tartan (tissu écossais en laine caractérisé par des carreaux) soit fabriqué quelque part au Ghana ou en Afrique du Sud… ou mieux encore que le marché de fabrication de la marinière, symbole de la mode française soit à 99% dominé par d’autres pays?

La « Black Pride » doit profiter aux noirs

Heureusement qu’au delà de cet envahissement du marché textile africain, il existe de plus en plus de créateurs et d’entrepreneurs (à l’image de moonlook) qui au lieu de choisir un outil de travail qui ne leur assure qu’un bénéfice personnel mais n’apporte en définitive pas grande plus value à leur communauté préfèrent travailler malgré les contraintes des matières fabriquées en Afrique par des africains afin de mettre en avant et de vulgariser le travail de ces artisans longtemps ignorés.

Porter du pagne c’est bien, créer une ligne de vêtements en pagne c’est super, ériger le pagne au rang de symbole identitaire c’est top, mais s’assurer que ce symbole identitaire soit avant tout source d’enrichissement pour la communauté c’est encore mieux. Comme le dirait l’autre, gbégnédzéagni! (j’en ai fini!)

 

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Commentaires

Mawulolo
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Si tu sors je sors ...
Mon mari est capable ...
Merci pour la réflexion

Afi Affoya
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:D :D :D exact. On les a tellement bien adopté ces tissus. Si seulement nous pouvions trouver un moyen de nous les approprier économiquement...

house of Lodia
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Bonjour, j'adore ton blog, si tu veux voir mes créations : ...... si tu pouvais ajouter mon site dans un de tes articles et le citer, ça serai top, merci : https://houseoflodiabenin

Afi Affoya
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Coucou Lodia. Merci pour l'intérêt. Je ne manquerai pas de te faire un clin d'oeil dès que le moment sera venu ;)
l'url de ton site n'est pas opérationnelle je crois, renvoies le moi si possible.

Belinda Bienvenue Pela'naa EGOM
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J'ai eu l'impression en lisant cet article que tu lisais les lignes de mon esprit.
Notre génération est perpétuellement entrain de se questionner sur toutes ces choses qui font de nous des africains et parfois la découverte de certaines réalités s'avère douloureuse. Le WAX.....je me demande parfois si nous finirons par appréhender notre culture dans son immensité.
J'étais justement en quête de réponses lorsque je suis tombée sur ton blog.
Merci pour ce merveilleux article.

Afi Affoya
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Merci infiniment Belinda. Ce genre de commentaires compte et fait comprendre combien il est important pour nous de nous questionner sur certaines questions qu'on banalise mais qui devraient nous préoccuper.
C'est un peu comme l'attiéké dont j'entends dire qu'il commence à être importé de la Chine (j'èspère que cette tendance ne prendra pas de l'ampleur).
Quel est l'intérêt d'être désignés meilleurs consommateurs d'un produit si les bénéfices de la production de ce produit ne nous reviennent pas?
Nous avons le Faso-Danfani, Kenté, Lokpo, etc. C'est le moment pour nous de nous éduquer à consommer de manière responsable et intelligente.
Ce n'est pas perdu d'avance en tout cas. #StepByStep ;)